Avec la déconfiture Pascal Rabaté nous surprend : une BD en noir et blanc qui raconte l’exode de 1940. Premier tome magnifique, différent et semblable de l’œuvre habituelle du dessinateur.

 

la déconfiturePascal Rabaté nous avait laissé, avec David Prudhomme à la fin de l’été 2015 sur une plage estivale à la Jacques Tati. « Vive la Marée » était colorée comme un paquet de bonbons acidulés et laissait un goût de joie de vivre sur la langue : surprenante est donc la nouvelle BD de l’auteur qui depuis « Ibicus » avait délaissé le noir et blanc. Ce retour à la bichromie peut s’expliquer par le sujet inattendu sous le dessin de Rabaté : le début de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement la « débâcle », qui amena des milliers de personnes, civils et militaires, sur les routes de France pour un exode précipité. Mais « débâcle », c’est le terme employé par les historiens. Le dessinateur préfère l’appeler « la déconfiture », intitulé révélateur de sa volonté permanente de traiter son sujet au plus près des gens et du quotidien. Et cette déconfiture fut totale et douloureuse. La blancheur parfois éblouissante des pages, comme celles de combats aériens, exprime parfaitement la souffrance et le dénuement de cet exode, la chaleur étouffante d’un mois d’été où les travaux des champs sont remplacés par des travaux de creusement de croque-morts improvisés.

la déconfitureLe trait tout en rondeurs prend ainsi le dessus et Rabaté croque ces silhouettes de soldats totalement perdus et de civils terrorisés avec cette humanité qui caractérise son travail. Les rares galonnés sont odieux, ou fous. Ou les deux à la fois. Les sans-grade comme Amédée Videgrain, instituteur de son état, bientôt rejoint par Fève, terrien comme tant de Français à cette époque, ne sont pas pourtant des héros ou des modèles, ils sont simplement humains cherchant à comprendre la situation. Ils se demandent ce qu’ils font là, s’ils sont à la bonne place et s’ils font les choses qu’ils doivent faire. Les silences superbement dessinés montrent cette hébétude et cette incompréhension.

la déconfitureVidegrain a été retardé et il arrive à la bourre derrière une armée elle-même en retard. Il roule à moto puis à pied derrière cette débandade. Ce retard permet à Rabaté de prendre du recul, d’examiner les hommes à l’aune de la réflexion et du calme revenu, de jeter son crayon sur des êtres qui ont perdu tout repère : comme l’instituteur désemparé, on est spectateur un peu abasourdi d’un théâtre où tout est vrai, où les morts sont des véritables cadavres, où l’on cherche à sauver sa peau, où l’on s’essuie aux toilettes avec les pages d’un livre de Victor Hugo. Les personnages sont hagards comme si en perdant leur maison ils perdaient leur raison. Les valeurs comme celle du respect des corps des défunts, l’ordre habituel des choses, la traite régulière des vaches, n’ont pu lieu d’être. On vit, on survit.

la déconfitureLes soldats ou civils en déroute sont conformes aux personnages habituels de Rabaté, souvent ventripotents, habillés d’un « Marcel » populaire et démocratique. Cela sent les congés payés, les photos de Cartier-Bresson, mais version désespoir. Les bords de Seine sont remplacés par les bords de route, le bain dans le fleuve est troublé par la vision d’un soldat allemand. Et quand la tension devient trop lourde, de savoureux dialogues dignes d’Audiard viennent détendre l’atmosphère et montrer qu’avec Rabaté, même dans les situations les plus désespérées, l’humour est toujours présent :

« Rejoignez les contemplatifs le temps d’un verre mon ami » déclare un vieil homme. « Traduction : pose ton cul et bois un canon » explique l’ouvrier.

Ce coup, on le boit, les verres posés sur un cercueil en guise de table. La vie continue et Pascal Rabaté nous invite avec finesse et doigté à la poursuivre avec de petits et grands malheurs, de petits et grands bonheurs. À hauteur d’Homme.

BD La Déconfiture Pascal Rabaté, Tome 1, Éditions Futuropolis, 96 pages, 25/08/2016, 19 €

Scénario et dessin de Pascal Rabaté

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la déconfiturePascal Rabaté est né le 13 août 1961 à Tours et grandit à Langeais. Après avoir étudié la gravure à l’École des Beaux-Arts d’Angers au début des années 1980, il se lance dans la bande dessinée en 1989. À la fois scénariste et dessinateur, il propose au fil de ses œuvres des univers très variés. Influencé à ses débuts par Buzzelli, Battaglia, Bofa, Pellos et Alexis, son travail évolue dans la veine expressionniste. Son adaptation en bande dessinée du roman d’Alexis Tolstoï Ibicus lui vaut un succès critique et public notable qui lui permet d’être considéré comme un grand auteur contemporain. Il se lance dans le cinéma en 2010 avec Les Petits Ruisseaux, adaptation de sa bande dessinée du même nom.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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