En faisant cette biographie de George Sand, Séverine Vidal au scénario et Kim Consigny au dessin racontent le destin d’une écrivaine, mais encore plus d’une femme engagée et en avance sur son temps. C’est à Quai des Bulles que Kim Consigny nous a en dit plus au sujet de la femme du 19e, mais aussi sur la difficulté de faire un tel album. Passionnant.

BD GEORGE SAND

Aurore Dupin, baronne Dudevant, George Sand, autant de patronymes pour désigner une femme exceptionnelle qui n’aima qu’une chose : l’amour. Celui des hommes, innombrables, celui des femmes et encore plus celui de la littérature. Dans cette remarquable biographie dessinée, les autrices Séverine Vidal et Kim Consigny, utilisent notamment de multiples de ses écrits, pour raconter des décennies de combats contre la mort, les régimes politiques, les inégalités, mais aussi pour la famille, la littérature, le théâtre.

Le sous-titre « fille du siècle » par référence probablement au roman d’Alfred de Musset « La confession d’un enfant du siècle », convient parfaitement à cet ouvrage qui s’évertue à démontrer comment cette femme hors du commun annonce les prémices d’un siècle nouveau dont la propriétaire de Nohant a perçu tous les signes avant-coureurs. Engagée, George Sand comprend les combats à venir. Notamment ceux d’une république démocratique, d’un féminisme inéluctable. Pour que la devise « Liberté, égalité, fraternité » devienne réalité.

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Vie de plaisirs, de souffrances aussi tant la mort rôde en permanence dans sa famille, George Sand eut une existence privée et publique exceptionnelle. Ce roman graphique, très documenté, la restitue parfaitement. Et Kim Consigny, lors d’une rencontre malouine, nous en révèle tous les dessous et les ressorts. Grand sourire pour raconter les difficultés de la genèse d’un gros album quand on est jeune dessinatrice.

Unidivers : Comment est née l’idée de ce projet ?

Kim Consigny : J’avais déjà travaillé avec Séverine Vidal notamment pour des publications jeunesse pendant deux ans. Six pages mensuelles pour « Je Bouquine ». Cela a été une super formation pour moi car je ne viens pas de la bande dessinée, mais j’ai fait des études d’architecture.

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U: Comme Lucas Harari, l’auteur notamment de « L’Aimant » et beaucoup d’autres ?

Kim Consigny : Exactement. Mais je n’ai jamais exercé ce métier. Ce sont des études intéressantes, mais le métier réel est loin de ces études. En fait le monde de la BD qui est aussi difficile, voire très difficile (éclats de rire) est aussi plus proche de ce que je voulais réellement faire. Après avoir travaillé avec Séverine sur une BD jeunesse qui ne s’est pas réalisée, elle me dit alors qu’elle est en train de lire une biographie de George Sand qui lui a été offerte par un ami de son fils. Elle trouve sa vie passionnante et a très envie d’en faire un livre. Je lui demande si elle a quelqu’un pour faire cela car je sens que j’ai hyper envie de me glisser dans ce projet. Et voilà. On a monté un dossier ensemble et on l’a présenté à Delcourt qui l’a retenu de suite.

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U: Comment avez-vous travaillé toutes les deux ?

Kim Consigny : Séverine a fait tout le scénario. C’est un énorme travail de coupes car il existe une documentation pléthorique sur George Sand. Elle même a écrit énormément. Beaucoup de gens ont écrit sur elle. De mon côté j’ai lu aussi plusieurs biographies, des romans, car j’avais besoin aussi d’avoir mon point de vue, d’en savoir plus. Séverine a établi un scénario par chapitres, relu par l’éditeur et je passais ensuite au story board. Par contre pour le dessin j’ai eu un travail de recherches énorme. Chaque dessin pose des questions.

U: Vestimentairement par exemple ?

Kim Consigny : Oui mais pas seulement. On écrit : « on apporte une lettre à George Sand ». Mais qui apporte une lettre au 19e siècle? De quelle manière? Sous quelle forme? Ce sont des recherches en permanence pour chaque case. Aussi chaque jour avant de me mettre au dessin je faisais mes recherches pour mes cases de la journée. Je les avais faites pour le story board et je les ai refaites avant de dessiner les planches définitives.

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U: On ne peut évoquer ce type de biographie sans parler de Catel et Bocquet. Y avez-vous pensé ?

Kim Consigny : Oui bien sûr! (rires) Cela fait peur ! On ne peut pas ne pas y penser. D’ailleurs j’avais très envie de réaliser une biographie dessinée depuis que j’avais lu celle de Kiki de Montparnasse que j’avais adorée. Franchement quand on s’est lancé dans ce projet je me suis dit : est ce que ce n’est pas trop tôt ? Trop grand pour moi? J’avais un peu la trouille mais je me suis dit aussi qu’il fallait avancer et oser. Et voilà.

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U: Et vous avez bien fait. C’est très réussi.

Kim Consigny : Merci ! Je suis contente de l’avoir fait. Je dois dire que j’avais été un peu rassurée car j’ai rencontré Claire Bouilhac qui travaillait avec Catel sur une adaptation du roman de George Sand, « Indiana » et Catel faisait la partie bio. Quand Claire m’a dit cela j’ai fondu en larmes et elle m’a consolé en me disant que cela se complétait. Elle m’a rassuré.

U: George Sand justement, ne pensez vous pas comme Michelle Perrot que son personnage est aujourd’hui plus grand que son oeuvre?

Kim Consigny : Son oeuvre est tellement gigantesque en terme de quantité, mais aussi de variété, théâtre, correspondance, romans, articles de presse, qu’il est difficile de se prononcer. Elle a, à ses débuts, un côté très dix-neuvième, proche des oeuvres de ses contemporains. Et puis il y a ses textes sur le Berry qui veulent faire connaitre à un large public des traditions locales sans tomber dans le régionalisme. Comme beaucoup de personnes qui ont beaucoup écrit, parce que c’était son moyen d’existence, ses textes sont assez inégaux. À partir de son travail à elle, elle a fait vivre beaucoup de personnes et entretenu Nohant, ce qui n’était pas rien. C’est vrai cependant qu’aujourd’hui on peut être d’accord avec Michelle Perrot : le personnage est peut être plus contemporain que ses textes.

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U: La vie de George Sand est hors normes.

Kim Consigny : On dit souvent « Quelle vie incroyable pour le 19e ! » Non, non « Quelle vie incroyable » tout court ! (rires). Moi je ne fais pas vivre, par exemple, toute une maison.

U: Comment la définiriez-vous ? Féministe, même si le terme n‘existe pas alors ? Socialiste ? Ou « Sandiste » comme l’écrit Balzac ?

Kim Consigny : Par rapport au féminisme, on lui a beaucoup tapé dessus car elle a dit qu’elle ne souhaitait pas le droit de vote pour les femmes. En fait elle estimait que donner le droit de vote à une femme sans que préalablement on lui ait donné la possibilité d’être éduquée c’était donner une voix supplémentaire à son mari. Elle n’avait pas fondamentalement tort à l’époque même si c’est difficile de juger avec notre regard contemporain. Elle a reçu une éducation de petit garçon puisque sa grand-mère s’est occupée d’elle comme de son frère, Hippolyte. Elle voulait que toutes les filles reçoivent la même éducation qu’elle.

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U: L’éducation est primordiale à ses yeux ?

Kim Consigny : Essentielle. Elle a eu une véritable action sur ce sujet. Elle a créé des journaux socialistes, proposé des spectacles à Nohant pour les paysans. Le « Sandisme » de Balzac c’est pour moi des actions basées essentiellement sur la paysannerie. Le Berry ce n’est pas l’industrie. Elle agit sur ce qu’elle connait le mieux : la paysannerie.

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U: Eros et Thanatos sont omniprésents dans sa vie.

Kim Consigny : Elle n’a pas eu une vie facile. Dès le départ tout est compliqué. La chance qu’elle a, c’est de n’avoir perdu aucun de ses enfants. Par contre la perte de ses petits-enfants à la fin de sa vie est un drame total. À quatre ans elle perd son père et son petit-frère à quelques jours d’intervalle. Elle déterre le cadavre de son père avec l’aide de son précepteur. La mort l’accompagne en permanence.

U: Eros est aussi omniprésent.

Kim Consigny : Pour l’époque, exprimer librement son désir n’est pas banal. Surtout sans se cacher ! Elle a eu une liberté d’homme.

« Nulle femme n’échappe à sa destinée, soit qu’elle se vende par un marché de prostitution ou par un contrat de mariage » écrit-elle.

C’est ce qu’elle a voulu rompre. Elle a réussi à obtenir par exemple à sa faveur la séparation de corps ce qui est rarissime à l’époque.

U: George Sand sans Nohant ce n’est pas George Sand ?

Kim Consigny : Nous nous sommes bien entendu rendu à Nohant. C’est hyper émouvant. J’avais besoin d’y aller pour dessiner. Regarder des photos ce n’est pas suffisant pour comprendre l’âme d’un lieu. Le site est bien préservé et bien mis en scène. La salle manger est dressée avec le service que lui a offert Chopin. C’est émouvant même si la maison a continué à vivre notamment avec ses petites filles.

U: Peut-on ajouter qu’elle fut à Nohant « écologiste »?

Kim Consigny : Il y a plein de mouvements que l’on peut identifier aujourd’hui et auxquels on peut rattacher George Sand. En cela aussi elle est très « moderne ». Elle avait une passion de connaître qui l’amenait à aller un peu plus loin dans chaque domaine même sur des thèmes qui n’étaient pas identifiés comme tels à l’époque. Elle lisait beaucoup sur la botanique par exemple.

U: Devant l’énormité de la vie de George Sand, j’ai eu peur que vous une traitiez pas de la présence amicale de Flaubert.

Kim Consigny : (rires). Vous pointez là une difficulté de ce type de biographie consacrée à des personnes qui ont des vies tellement riches. Il ne faut pas occulter des faits essentiels. En ce qui concerne Flaubert il intervient bien mais à la toute fin. Cette relation est belle car il s’agit de deux personnes fondamentalement différentes. Elles n’ont pas le même âge, les mêmes idées politiques. C’est beau de voir naître cette amitié tardive.

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U: Quels projets pour vous même aujourd’hui?

Kim Consigny : Cet album a bien marché et je suis heureuse quand je rencontre des professeurs qui me disent travailler sur George Sand en partant de notre BD. Mais c’est quand même compliqué (moue dubitative). C’est ma première BD qui est retirée pour la troisième fois, mais c’est chaud la BD. J’ai un autre projet chez Delcourt avec un ami au scénario : c’est une espèce de réécriture de Peter Pan. C’est de la fiction pure et cela fait une respiration après une réalisation aussi intense et épuisante que George Sand. Je ne ferai plus à l’avenir de projet aussi important.

U: Ce travail peut vous être utile pour le futur quand même ?

Kim Consigny : Vous avez raison car je dois réaliser un des tomes de l’Histoire dessinée de la France, consacré à la fin du 19e siècle avec un historien très cool. Je vais pouvoir utiliser toutes mes connaissances acquises graphiquement avec la biographie de George Sand. On ne peut que souhaiter une belle carrière à Kim Consigny, tant son trait léger et sa rigueur peuvent porter des projets les plus complexes et les plus beaux. Elle signe avec George Sand et son amie Séverine Vidal une entrée remarquable dans la biographie BD.

Propos recueillis au festival Quai des bulles à St Malo.

BD GEORGE SAND

George Sand de Séverine Vidal (scénario) et Kim Consigny (Dessin). Éditions Delcourt. 336 pages.

Scénariste : Séverine Vidal
Illustrateur : Kim Consigny
Coloriste : Kim Consigny

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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