Hellé Nice. Un joli nom pour désigner celle qui fut une grande pilote de voiture de compétition dans les années 20, complètement oubliée aujourd’hui. Une absence que Giuseppe Manunta répare avec cette belle biographie dessinée.

hellé nice

Catel et Bocquet dans leurs biographies ont la volonté de remettre en lumière ce qu’ils appellent les « clandestines de l’histoire » c’est-à-dire les femmes, et elles sont nombreuses, qui ont été reconnues de leur temps, mais dont la trace s’est peu à peu effacée dans l’histoire écrite par les hommes.

hellé nice
Mariette Hélène Delangle dite Hellé Nice, née le 15 décembre 1900 à Aunay-sous-Auneau (Eure-et-Loir) est décédée le 1er octobre 1984 à Nice, est devenue pilote automobile durant toutes les années 1930.

C’est une autre clandestine qu’évoque Giuseppe Manunta dans sa BD « Hellé Nice » dont le nom est encore plus discret que celui d’Olympe de Gouges ou Kiki de Montparnasse. Si le patronyme d’Hellé Nice ne vous dit rien, Mariette Hélène Delangle ne vous parlera pas plus.

HELLE NICE

C’est la couverture de l’album qui va donner une indication : une pin-up comme celle chère aux aviatrices dessinées par Romain Hugault (1), mais aussi le vol d’un avion, une carrosserie d’un bolide des années trente, le tout formant une image symbole d’une femme au caractère détonnant. S’y ajoute une vitesse, 197,2 km/h, celle réalisée sur un circuit en voiture, mais qui pourrait qualifier la vie de celle qui fut successivement, mais aussi simultanément, « muse d’un peintre, danseuse, effeuilleuse, aventurière » et aussi amante, maîtresse, séductrice, qui va voyager et piloter ses bolides de l’Algérie au Brésil, de Monaco aux États-Unis.

Giuseppe Manunta

Ces amants s’appellent Arnaldo, René, Philippe, mais aussi Bugatti, Alfa Roméo car, autant que les hommes, Hellé aime les bolides, si exigeants physiquement à l’époque et pour lesquels il faut renforcer ses épaules, le buste et posséder des bras comme des « joncs, flexibles, mais robustes ».

Giuseppe Manunta

Giuseppe Manunta s’en donne à coeur joie dans un dessin chargé de transmettre la vitesse, vitesse sur piste, vitesse existentielle, et de dévoiler les corps comme les moteurs. Profitant de pleines pages qui sont autant d’arrêts au stand, il nous fait découvrir de l’intérieur le milieu de cet univers automobile en plein essor et les personnages clés, industriels notamment, qui engagent, à travers les courses une redoutable compétition commerciale. Hellé Nice (prononcez « Elle est nice » pour comprendre pleinement le sens du surnom), née dans un milieu modeste en 1900 traverse ces univers sans se soucier de notoriété, de savoir-vivre ou de conventions.

hellé nice

Elle mène sa vie comme sa Bugatti, à toute vitesse, évitant les obstacles, mais les prenant aussi parfois de plein fouet, frôlant la mort. Le 2 juin 1929, elle remporte ainsi sa première course de Grand Prix féminin sur l’autodrome de Linas-Montlhéry avant de tourner à la vitesse de 194 km/h six mois plus tard.

Giuseppe Manunta

Brûler la vie conduit parfois à se brûler les ailes : un accident, une accusation éhontée de collaboration avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, un compagnon qui lui vide ses comptes en banque, une mère qui la déshérite pour sa conduite immorale, une beauté qui se fane et la course s’achève en 1984 dans « la solitude, la misère et l’oubli » malgré l’aide d’une association qui aide les artistes en difficulté et dont le nom adresse un authentique clin d’oeil au destin de Hellé Nice : La Roue Tourne.

The bugatti queen

Nul n’est prophète en son pays et il faudra une Anglaise, Miranda Seymour, pour sortir Hellé Nice de l’oubli avec la parution en 2004 d’une biographie éditée au Royaume-Uni, puis publiée aux États Unis et traduite en espagnol, mais pour l’instant pas en français. On se demande à la lecture de ce bel album si le milieu de la compétition automobile n’a pas régressé du point de vue de la mixité alors que la conduite des Formule 1 d’aujourd’hui requiert beaucoup moins de puissance physique.

Princesse Bugatti

Dans sa postface, Georges Bringuier, biographe de Hellé Nice (2) constate qu’aucun « règlement n’interdit la participation des femmes et aucun argument physique ou technique n’est recevable » en matière de Formule 1. Alors que vient de s’achever ce dimanche la saison 2021, on ne pourra s’empêcher de penser au départ du grand prix de Barheïn en mars 2022 qu’il serait bien qu’une femme soit un jour de nouveau au départ. Pour la mémoire de Mariette Hélène Delangle notamment. Et pour toutes les autres.

Giuseppe Manunta

HELLÉ NICE de Giuseppe Manunta. Éditions Félès. 136 pages. 23€. Parution 20 novembre 2021.

(1) Éditions Paquet (2) Hellé Nice. Princesse Bugatti – amour -gloire – déchéance aux Éditions du Palmier.

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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