Avec cette BD d’observation des grands cerfs, Gaétan Nocq, nous introduit dans le monde fantastique de la forêt vosgienne. Un hymne à la vie naturelle, une ode à la poésie. Tout simplement exceptionnel.

LES GRANDS CERFS

Bleu, c’est le terme premier qui vient à l’esprit en ouvrant cette BD. Bleu parce que c’est en écoutant l’émission « L’Heure Bleue » de Laure Adler sur France Inter que Gaétan Nocq entendit les propos de l’écrivaine Claudie Hunzinger présentant son dernier roman Les Grands Cerfs, « un plaidoyer poétique pour la nature sauvage » qu’il décida d’adapter aussitôt en bande dessinée. L’heure bleue c’est aussi ce moment magique, avec cette lumière si particulière, où la forêt se couche, où la silhouette magique des cerfs touche l’horizon avant de rentrer dans ces zones secrètes de leurs amours, de leurs combats, de leur lutte pour la survie.

Rapport W Gaétan Nocq

Bleu c’est encore la couleur adoptée par le dessinateur dans sa remarquable BD précédente, Le rapport W. Cette monochromie parfaite pour traduite l’inhumanité d’un camp de concentration devient ici brume poétique quand elle rencontre les montagnes vosgiennes ou Pamina, écrivaine, est venue s’installer à la lisière de la forêt sans savoir que cette ancienne métairie était située sur le passage du clan des cerfs.

Au contact quotidien de ce nouvel univers, aidé par Ludo, photographe des cerfs, elle va pénétrer un monde jusqu’alors inconnu qui va la conduire de la contemplation de la beauté pure à la constatation désenchantée d’un monde soumis, jusque dans la mort des animaux, à des principes économiques prioritaires. L’affût sera le moment révélateur de ce monde puissant, à portée de main, mais pourtant inconnu de la plupart car il faut « disparaître pour guetter les apparitions (…) disparaître en restant là», tout en « élargissant ses sens ». Et le temps silencieux devient suspendu dans la contemplation d’un ciel, d’un combat d’oiseaux, d’une traînée de nuages. Claudie Hunzinger utilise les mots pour dire ces moments. Gaétan Nocq prend son bleu et sa technique si particulière, proche du sfumato, pour dire la brume, la nuit. C’est d’une douceur, d‘une tendresse infinie. Le trait dissimulé derrière le velouté de la couleur s’esquive pour laisser la place au flou du brouillard, de la lumière nocturne des phares, à la silhouette massive de cervidés vivant leurs existences si différentes selon les saisons. Le photographe Vincent Munier isole des ramures, des yeux, noyés dans la brume ou la neige pour nous faire ressentir la beauté de ces animaux majestueux. Gaétan Nocq les dresse devant nous, silhouette entourée d’un voile rouge, figée souvent, regard contre regard. Avec son pinceau il instaure entre l’animal et nous une connivence forcée, dans laquelle la puissance du cerf, captée par lumière d’un projecteur, exprime sa volonté de vivre mais aussi sa peur de mourir. La pose figée de l’animal nous immobilise à notre tour. Et il a un nom: Wow, Apollon ou encore Pâris comme dans le récit L’homme chevreuil de Geoffroy Delorme (1) .

Les grands cerfs Nocq
Photo : page Facebook Galerie & Éditions Daniel Maghen.

Comme un naturaliste, on apprend par les mots beaucoup de choses sur ces animaux dont les mâles, se battent parfois jusqu’à la mort pour aimer. Séduction, nourriture, protection, déplacements, hiérarchie se déploient devant nos yeux admiratifs de tant de beauté. Mais on découvre, dans un récit engagé, qui a la justesse de ne pas utiliser des mots militants, le revers de cette magnificence menacée et notamment le rôle de l’Office National des Forêts (ONF) qui se révèle être le principal allié des chasseurs. Les cervidés ont un principal défaut : ils mangent des conifères et l’industrie du bois doit être préservée. Alors comptage statistique, sélection naturelle sont utilisés pour déterminer annuellement le nombre d’animaux pouvant être abattus par les chasseurs.

Les grands cerfs

Au fil des pages, Pamina déchante et même Ludo, son initiateur à ce monde merveilleux, le déçoit. Avec elle on se révolte de la perte de tant de mystère. C’est ce mystère qui nous émeut, quand Gaétan Nocq dessine les bois tombés qui deviennent de simples arabesques abstraites sur un fond uni. Ou quand les projecteurs éclairent la lisère d’une forêt brisant l’uniformité de futs verticaux en structures fantomatiques. Et le bleu, toujours le bleu, léger pour montrer l’aube naissante, plus foncé quand vient l’orage, teinté de rose quand se profile la nuit et sombre, jusqu’à virer au noir quand surgit le danger, la peur, la mort. Avec Les Grands Cerfs, Gaétan Nocq nous invite à découvrir les grands espaces. Ces grands espaces que Catherine Meurisse avait choisi comme titre d’une de ses dernières BD. Un joli apparentement avec le partage de la beauté comme point commun.

Les Grands Cerfs de Gaétan Nocq. Éditions Daniel Maghen. 224 pages. 29€. Parution 23 septembre 2021.

soleil brulant nocq

On découvrira avec plaisir la première BD de Gaétan Nocq avec Soleil brûlant en Algérie, d’après le récit d’Alexandre Tikhomiroff, aux Éditions la Boîte à Bulles, qui met en images le journal d’un appelé. Cette BD permet de faire connaissance avec la technique si particulière du dessinateur, sans bleu, mais avec le gris du crayon de bois. Ouvrage toujours disponible.

(1) Éditions Les Arènes.

Page Facebook de la galerie Daniel Maghen.

Les grnads cerfs hunzinger

Les Grands Cerfs est l’adaptation en bande dessinée du roman de Claudie Hunzinger publié chez Grasset en 2019 et lauréat du Prix Décembre la même année. Prix du Jury, Festival de la BD de Bassillac, nominé au Grand prix de la critique ACBD 2022.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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