Extases tome 1 : Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x… En 2001, Catherine Millet racontait ses expériences sexuelles de libertine dans La vie sexuelle de Catherine M. Seize ans plus tard, JeanLouis Tripp dans un superbe roman graphique raconte ses expériences d’enfant, d’adolescent et d’homme. Récit sur un fil très tendu, mais qui tient magnifiquement l’équilibre.

Extases… Tout commence bien avec ce titre en grand sur une belle couverture. Extases, c’est le plaisir, la joie, la jouissance, le bonheur, l’état second. C’est un mot bien propre sur lui. Incitatif. Mais en dessous il y a un sous-titre : « où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un X… » On se dit alors que les choses vont se gâter et qu’il sera difficile d’envisager une rubrique dans Unidivers. Pourtant, l’auteur, JeanLouis Tripp, est le garant d’une moralité au-dessus de tout reproche, voire même exemplaire. Il est sorti de neuf ans de collaboration avec son compère Loisel pour réaliser les 9 tomes du « Magasin Général » (voir article Unidivers) où pas une case ne laisse entrevoir le moindre téton ou la plus petite suggestion d’un coït (même interrompu). Le propos était même empreint d’un féminisme certain. On lit donc avec beaucoup d’attention la préface signée de l’auteur, procédé inhabituel dans ce type d’ouvrage, et on comprend que le dessinateur avant d’entamer son ouvrage a beaucoup hésité à se lancer dans ce qu’il appelle le récit de sa vie sexuelle. Rien que cela.

bd extases jeanlouis tripp

Le lecteur est donc prévenu, averti, et en feuilletant la BD Extases de JeanLouis Tripp, il sait de suite qu’il ne rentre pas dans un album pour enfants, au pays merveilleux d’Alice et de ses compagnons. Les scènes sont crues, réalistes, détaillées et rarement autant de phallus ont été dessinés par pages. On craint dès les premières pages de s’ennuyer à lire un ouvrage pornographique, un manuel à destination de voyeurs. Le récit débute pourtant par des amours enfantines dans une classe d’école primaire qui nous renvoient à des images d’affection particulière pour un copain ou une copine, dont on se souvient encore, des décennies plus tard, du prénom, du visage. Le dialogue auteur/lecteur débute déjà renvoyant le récit à son caractère universel. La vie amoureuse débute par beaucoup de tendresse et Tripp sait merveilleusement la traduire en utilisant la troisième personne. Les premières barrières tombent.

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Elles vont continuer à s’effondrer en passant de l’enfance à l’adolescence où, après avoir dormi avec Caroline, le « Je » remplace « Jean-Louis » et devient la règle, comme une implication forte et la conscience d’exister enfin par soi-même après les premiers émois sexuels. Dès lors le récit va s’accélérer et les différentes étapes de la sexualité se succéder : premier baiser, première découverte du corps, première étreinte jusqu’au premier orgasme. Dans Extases JeanLouis Tripp nous montre tout et pourtant ne nous met pas mal à l’aise. L’humour, la naïveté, la sincérité et surtout la tendresse adoucissent les dessins hyper réalistes et ramènent le discours de mâle dominant et sans crainte à des questions basiques et essentielles de savoir faire et d’apprentissage. Quand Jean-Louis fait l’amour pour la première fois, les corps s’envolent comme en apesanteur, survolent le lit sans aucune bulle, sans texte. Mais si ces belles images sont vraies elles sont aussi inexactes, car les pensées d’une première fois vont également vers les craintes de bien ou mal faire, les raisons « techniques ». En doublant la scène, le dessinateur prend du recul, nous laisse juge de ses hésitations, de ses doutes et nous écarte de tout voyeurisme.

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Par des mots brefs, justes en appuis de l’image d’Extases, JeanLouis Tripp exprime avec une grande justesse la jouissance qui résulte de la conjugaison du désir et de l’amour. Il doute, questionne sans cesse, cherchant à juger, à jauger sa sexualité à l’aune de son éducation, de la religion (ou de son absence), du respect de la femme. Ce questionnement quand il participe à des ébats collectifs, ou qu’il monte voir des prostituées le suit partout se donnant comme règle finale acceptable la règle de suivre le caractère impératif de ses désirs uniquement avec des « adultes désirants ». Il sait dire avec des mots justes l’extase, la jouissance et exprimer « la gratitude, l’Amour fou et la montée vers le portail des étoiles et l’indicible secousse ».

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Quant au dessin, qui n’hésite pas à la pleine page, même la double page, y compris dans les situations les plus intimes, il remplace avec justesse les mots quand ceux-ci sont trop chargés de pornographie ou de grivoiserie. « S’envoyer en l’air » se dessine avec bonheur, se dit avec lourdeur. L’auto portrait nu, assis sur le sol, silencieux, exprime dans sa crudité toute la difficulté d’être un homme.

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JeanLouis Tripp n’est pas qu’un sexe dévoré par les hormones (mais il est aussi cela et se dessine ainsi souvent sous la forme humoristique d’un « phallus-diable ») car sa sensibilité, son intelligence l’amènent à se questionner lui et ses partenaires, sur la séparation véritable ou non entre le désir et l’amour, l’envie primitive et la morale, l’amour tarifé et l’amour courtois. Son questionnement modeste est universel et nous touche.

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Le lecteur referme l’album Extases de JeanLouis Tripp en ayant oublié toutes ses craintes initiales. Tripp a réussi à traiter la sexualité masculine sans tabou, mais aussi sans grivoiserie. Un sujet finalement rare que les hommes liront avec plaisir et où les femmes découvriront, peut être comment leur compagnon fonctionne. Une BD qui nous rappelle le « Journal d’un corps » de Daniel Pennac dans lequel l’auteur écrivait : « je veux écrire le journal de mon corps parce que tout le monde parle d’autre chose ». Et pourrait-on ajouter : « tout le monde y pense » …

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BD Extases JeanLouis Tripp, Éditions Casterman, 6 septembre 2017, 268 pages, 22 euros. Trois autres tomes devraient suivre ce premier opus.

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