La grandeur et la difficulté de la montagne, c’est ce que va découvrir Alice Chemama, transplantée momentanément dans une vallée alpine. Rencontre humoristique et poétique avec un univers qui se conquiert lentement. Beau et réjouissant.

DANS L'OMBRE DU MONT BLANC

Il y a de multiples façons d’appréhender la montagne. Il y a par exemple celle du dessinateur de BD Jean Philippe Rochette (Ailefroide, Le Loup), né sur place et qui entrevoit dès l’enfance la montagne comme un lieu de jeu, de conquête. Il y a celle du romancier italien Paolo Cognetti (La félicité du loup, Huit montagnes) pour qui les sommets sont un lieu d’existence, de source de vie, de contemplation.

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Et puis il y a celle de Alice Chemama, urbaine, citadine, qui découvre tardivement la montagne, sans vraiment le vouloir, à l’occasion d’une sélection pour résidence d’artiste. Entre deux choix ensoleillés, le sort tombe sur la Haute Savoie, la vallée de l’Arve plus précisément. Dès lors elle va chercher à s’imprégner d’un univers entrevu seulement lors de malheureux cours de ski.

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La naïveté qui préside ces découvertes est parfaitement traduite par un dessin proche des illustrations pour enfants. Petite, petite, les yeux écarquillés à la manière des autoportraits de Catherine Meurisse, elle va se confronter à la grandeur de la force de la nature. Avant d’enfiler les chaussures de randonnée, de prendre le piolet et la corde de rappel, entre deux confinements, elle plonge dans son lieu de destination à travers les contes et légendes du pays, son économie et sa tradition horlogère et de décolletage, ses histoires de sauvetage raté et d’avions écrasés contre les parois rocheuses.

En sept pages est ainsi évoquée l’histoire de la résistance sur le plateau des Glières. Par petites séquences parfaitement documentées et racontées, on approche avec elle de l’âme d’une région paradoxale où l’air pur des sommets côtoie la pollution extrême de la vallée. L’autrice apparait alors comme une petite fille découvrant un monde nouveau, la bouche ouverte, mais avec le masque anti Covid sur le nez. Le récit alterne ainsi entre histoire collective et histoire individuelle. Entre le passé de la région et le présent de l’autrice.

On est ému lors de l’évocation du crash du Malabar Princess le 3 novembre 1950, mais on est amusé lorsque Alice se confronte à l’escalade d’une cascade de glace. Comme un enfant raconte à ses parents ses premières aventures, elle prend à témoin le lecteur de son inexpérience, mais aussi de ses émerveillements. La montagne « ça vous gagne » certes, mais ça se gagne aussi et peu à peu l’autrice à défaut de la vaincre va mieux la comprendre pour l’apprivoiser. À son talent d’exploratrice va s’adjoindre alors un talent indéniable d’illustratrice. Pinceaux d’aquarelle à la main, couleurs directes, le dessin de la nature devient véritablement époustouflant de beauté, de sensibilité. Tempête de neige, coucher de soleil sur les cimes, arête vertigineuse, Alice Chemama magnifie son environnement.

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Comme le lecteur, les planches perdent leur voix, se taisent pour laisser la parole silencieuse à la montagne. Cet aller-retour permanent entre l’ironie du quotidien et la grandeur du paysage offre l’originalité première de cet album que symbolise parfaitement la couverture : une montagne grandiose avec en bas de l’image un peu perdue, une petite jeune femme éberluée mais aux yeux grand ouverts sur le monde. Alice Chemama s’était fait connaître du monde de la BD en publiant avec Méliane Marcaggi Les Zola. Elle signe ici sa première histoire écrite et dessinée seule. On attend avec impatience son prochain album à qui l’on souhaite d’atteindre les sommets.

Dans l’ombre du Mont Blanc de Alice Chemama. Éditions Dargaud.132 pages. 19,99€. Parution 17 septembre 2021.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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