Dans ce volet de notre dossier consacré aux liens entre BD et artistes, c’est le musée du Louvre qui est a l’honneur. Avec un récit original et décalé signé Etienne Davodeau. Quand une « croute »  devient un chef d’œuvre. Ou presque. Il s’agit de percevoir la réalité comme le chien qui louche sous la grande pyramide…

 

Étienne Davodeau est un dessinateur français des plus connus. Il plante la mine de ses crayons dans la terre avant de dessiner les « gens » qui l’entourent. Il est né dans les Mauges, dans la douceur angevine.

chien qui louche, bd, étienne davodeau, futuropolis, louvreÉtienne Davodeau s’est fait un nom dans la BD en situant ses récits ou ses enquêtes dans cette région où il dessine avec virtuosité des maisons de tuffeau. « Rural », « Les Mauvaises Gens », ou « les Ignorants » gravitent autour de ces fameux coteaux du Layon. Parfois, on s’éloigne un peu, de quelques kilomètres, vers le bord de mer comme  avec « Lulu Femme Nue » ou « Un homme est mort », mais Davodeau raconte toujours des histoires à hauteur d’Hommes. Des histoires du quotidien banal, des histoires qui font que chacun retrouve des moments de sa propre vie dans ces vignettes.
 Aussi quand on a découvert sa dernière publication consacrée au Musée du Louvre, lieu parisien par excellence, on a pu se demander ce qui avait frappé le dessinateur. Le titre, « Le chien qui louche », ne faisait qu’ajouter à la confusion. Pris dans le tourbillon du Star, System Étienne Davodeau avait-il perdu la raison ?

Au premier abord pourtant, rien ne laisse envisager une quelconque divagation. Le livre, son format, le papier rappellent immédiatement « Les Ignorants », dernier ouvrage dans lequel le dessinateur et un viticulteur partagent leur univers respectif. En feuilletant cette nouvelle BD, le lecteur est immédiatement en terrain connu. D’ailleurs, à regarder de plus près les images, une évidence saute aux yeux : Davodeau a pris plaisir à se promener dans Paris comme dans les vignobles de Chalonnes-sur-Loire. Incidemment, l’air de ne pas y toucher, c’est une vraie balade que le dessinateur nous offre le long des quais de la Seine et dans les jardins parisiens. Avec un dessin renouvelé, il retranscrit avec force et une économie de moyens une ambiance, une atmosphère. Le ciel au-dessus de la cour carrée du Louvre a remplacé le ciel d’orage au-dessus de la Loire, mais la magie opère toujours. Dégradé, subtilité, le dessin, en s’éloignant de la couleur a gagné, en douceur, en évocation, en suggestion. Les ciels de Davodeau sont une invite à la poésie.

chien qui louche, bd, étienne davodeau, futuropolis, louvreEt puis il y a ces pages où l’on se dit que l’ancien élève des arts plastiques de Rennes a du prendre plaisir à redessiner comme aux Beaux-Arts ces sculptures de marbre, de plâtre. Ils sont nombreux ces dessins s’égrenant au fil des pages, véritable fil rouge, nous obligeant en fait à porter le regard « à côté » ou « ailleurs » sur des œuvres qu’au final peu de visiteurs observent vraiment. Exercices de style, peut-être. Pourtant, il rappelle combien l’art est omniprésent dans notre vie si on prend le temps de prendre le temps de…regarder. Comme un personnage du livre, nous sommes invités à nous intéresser à une main, à des fesses, à des sculptures si proches de la sculpture de la Victoire de Samothrace, mais totalement ignorées, écrasées par le chef d’œuvre, ou désigné comme tel.

chien qui louche, bd, étienne davodeau, futuropolis, louvreL’auteur avec délicatesse nous suggère ainsi de réfléchir sur notre rapport aux musées et aux chefs d’œuvre. En s’attardant par de nombreuses pages sans texte, des pages silencieuses (« c’est très casse-gueule » m’a-t-il confié un jour), Davodeau nous promène dans les couloirs du Louvre pour regarder sans préjugés (« La Joconde elle est où ? La Joconde Monsieur c’est par là ? La Joconde je veux la voir ! »), pour chercher le beau par nous-mêmes.  C’est l’occasion pour lui de croquer, un peu comme Sempé, ces visiteurs incorrigibles et grotesques s’attardant devant…. La Joconde, téléphone portable à la main, photographiant ce qui est déjà accessible des millions de fois sur tous les supports imaginables. Oubliant même de regarder le tableau. Comme si la foule était la garante de la qualité d’un chef d’œuvre. La foule, le dessinateur ne l’apprécie guère. Il s’en moque avec une certaine cruauté. Cette foule qui va de la tour Eiffel au Louvre (ou à la Joconde) puis à notre Dame et enfin à Disneyland, comme autant de passages obligés.

chien qui louche, bd, étienne davodeau, futuropolis, louvreAlors il y a bien entendu le choc des cultures et aller au Louvre nécessite un peu de sensibilité artistique. Quoique… Quoique, complètement pris au dépourvu et insensible aux œuvres peintes ou sculptées, « le Louvre, c’est le grand machin avec une pyramide au milieu ? ». La famille Benion, « commerçante de père en fils depuis 60 ans », et actrice principale du livre, découvre à son tour la beauté de meubles anciens présentés dans le musée parisien. Quelles sont belles ces pages où le dessin suit le regard amoureux des visiteurs (venus non pas au Louvre à l’origine, mais chez des fournisseurs !),  sur la courbe d’un fauteuil, sur la patine du bois.  Artistes, artisans, l’œil glissant sur la courbure du fauteuil du sacre de Napoléon, est le même que celui s’extasiant devant un tableau de Delacroix. L’émotion est présente, identique. À fleur de peau.

chien qui louche, bd, étienne davodeau, futuropolis, louvreEt là est tout le talent de Davodeau qui, de livre en livre, dessine ces « gens de peu » qui militent, s’engueulent en famille, s’aiment. Cet ouvrage s’inscrit dans le digne prolongement des thèmes précédents : choc des cultures entre un parigot, Fabien gardien au Louvre, et sa belle famille commerçante en Province. Rencontre avec un vieux monsieur qui attend une femme, « sa » femme depuis 20 ans, évocation de la vie en banlieue, de l’envie ou non de faire un enfant ou un régime. C’est notre vie que Davodeau retranscrit, ses difficultés, mais aussi sa beauté, sa petite beauté quotidienne : « c’est chouette chez vous ! Oui ça s’appelle la campagne » . On le savait capable de le faire, la terre collée aux pieds. On sait désormais qu’il peut aussi la dessiner avec des mocassins de ville. Dans les Mauges ou à Paris, chaque être a une richesse personnelle qui mérite d’être connue. Davodeau sait la dénicher et nous la montrer.

Au fait, j’oubliais, le scénario de la BD est simple : par amour pour son amie, un gardien du Louvre est sollicité par sa belle famille provinciale pour faire rentrer dans le célèbre musée un tableau, « Le chien qui louche » peint par un arrière grand-père. Une mystérieuse confrérie, « la République du Louvre » devra intercéder pour donner, ou non, satisfaction à ce rêve. Mais vous l’aurez compris, ce scénario, une farce précise la quatrième de couverture, n’est qu’un prétexte. L’intérêt du Livre est ailleurs.

Car finalement Étienne Davodeau n’a pas perdu la raison. Et c’est tant mieux !

  

Le Chien qui louche, Étienne Davodeau, Futuropolis – Musée du Louvre, 24 octobre 2013, 144 pages, 20 €

 

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L’art en BD : Le chien qui louche sous la pyramide d’Etienne Davodeau

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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