Charlie ? Encore Charlie ? L’inconscient populaire s’est emparé désormais de cette tragédie. Mais comment vivent ces survivants ? Dans Catharsis Luz s’est emparé de son crayon pour exorciser ses peurs. Cet ouvrage de bande dessinée nous parle de lui. Mais aussi de nous. De nous face à l’indicible. Émouvant. Salvateur. Poétique et parfois souriant. Un livre exceptionnel !

 

Un jour le dessin m’a quitté. Le même jour qu’une poignée d’amis chers. À la seule différence, qu’il est revenu lui .

dessin luz catharsisC’est un petit homme, un homme « têtard » comme le dessinent les enfants, quelques traits de plume noirs pour dessiner une silhouette. Juste assez pour deviner un homme. Assez pour faire la couverture de l’ouvrage qui n’est pas une bande dessinée, mais « l’histoire de retrouvailles entre deux amis ». Oui, mais voilà l’auteur de ce dessin n’est pas un enfant. C’est un dessinateur professionnel. Un grand dessinateur. Luz c’est son nom, Luz dessinateur à Charlie Hebdo dont il demeure pour quelques jours encore un pilier. Et son talent change tout : car le personnage a les yeux énormes, disproportionnés, ronds et plats comme des galets dieppois. Et ces deux ronds autour d’un petit point noir suffisent à faire de ces traits la silhouette d’un homme apeuré et choqué. Un homme perdu. Traumatisé. Seul sur une feuille blanche.

On sait tout désormais de l’histoire de Luz, de son récatharsis luzveil tardif le jour de son anniversaire, une
grasse matinée qui va le retarder pour la conférence de rédaction de Charlie, le retarder et le sauver. Chanceux et coupable, chanceux d’être vivant, coupabl
d’avoir survécu à ses amis.

Les rescapés des camps de la mort nazis se sont d’abord tus, laissant le temps au temps pour revivre et témoigner enfin dans une parole salvatrice. Luz n’a pas attendu si longtemps. Il lui restait le soir du 7 janvier, un ami, le seul capable de le sortir du trou dans lequel il glissait pour y rejoindre Charb : le dessin.
Et son ami à défaut de le sauver va l’aider. Pour l’aider, comme en psychanalyse, il faut dire les choses, même les plus difficiles. Et Luz ne se cache pas. À travers plusieurs histoires de trois ou quatre pages, il raconte tout, ou presque tout. Rien n’est transformé, évité. Le matin du drame, la protection policière, les frères Kouachi, les cauchemars, les compassions collantes et indécentes. Mais le dessin de Luz en disant tout ne montre pas tout.

La magie du trait permet par une simple tache rouge qui emplit une page entière de dire le massacre. Comme le « Guernica » de Picasso qui à travers des visages et des corps déformés exprimait l’horreur d’un bombardement mieux qu’une photo réaliste, Luz suggère n’hésitant pas à transformer les bruits de la fusillade en une partition musicale sur laquelle les deux assassins dansent comme des silhouettes de la mort. Les angoisses sont omniprésentes et le rouge comme un signal d’alerte intérieur, nous rappelle que les tentatives d’humour d’un pigeon déféquant sur la veste d’un Président, sont vaines. Comme est vain de vouloir combattre cette boule au ventre, surnommée ironiquement « Ginette », qui va désormais l’accompagner toute sa vie.

catharsisLuz a son crayon, mais aussi sa femme et ce journal intime trouve alors toute sa force salvatrice. Faire l’amour, mélanger par le trait les corps fusionnés de deux êtres qui s’aiment semble être la seule bouée de sauvetage, le récif où déposer ses peurs et ses angoisses. Éros et Thanatos est d’ailleurs le titre d’une des histoires et Camille devient le dernier rempart : « Je suis là mon amour… Je suis là mon amour » répète-t-elle inlassablement. Vaincre la mort par l’amour, rarement le dessin aura su exprimer cette volonté de survivre malgré tout. La qualité de la plume, qui a remplacé l’habituel pinceau, sait évoquer ces scènes les plus personnelles avec une puissance affective inégalée. Rarement Luz aura atteint une telle qualité graphique, poétique parfois, terrifiante souvent, mais toujours évocatrice. Comme libéré des contraintes du dessin d’actualité, il s’est plongé avec talent dans l’intime, son intimité. Et il nous la fait partager avec pudeur et grandeur.

À la fin des saynètes, dans les dernières pages, le petit personnage de couverture s’est multiplié. Il a toujours le regard inquiet, mais il n’est plus figé sur place. Il avance. Il bouge. Il vit. Et nous avec lui.
On a alors envie comme lui de regarder deux écureuils copuler sur une branche d’arbre. Pour le simple plaisir. Pour apprendre à respirer de nouveau, à vivre encore et toujours. Pour le meilleur et pour le pire.

Catharsis Luz, Éditions Futuropolis, 126 pages, 14,50 €

Unidivers a la chance d’avoir du flair. Pour la deuxième année consécutive, votre webzine culturel préféré a déniché l’album qui a reçu le prix BD le plus prestigieux avec les récompenses d’Angoulême : le Prix des libraires spécialisés de BD. Après les Vieux Fourneaux en 2014, le prix de cette année a été décerné à Love in Vain racontant la vie du musicien Robert Johnson. Jamais deux sans trois ? À suivre donc avec attention les chroniques BD de la rentrée pour découvrir, peut-être, en avant-première le Prix BD 2016…

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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