BD Brunilda à la plata : Dans les coulisses d’un théâtre avec Genis Rigol

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Un titre étrange pour une BD étrange. Genis Rigol nous emmène dans un de ses derniers rêves. Un lâcher prise indispensable pour un scénario et un dessin hors normes.

« Tout ce qui existe ressemble à autre chose », déclare un décorateur de théâtre. Cette phrase est un peu un symbole de la BD Brunila à la Plata. Faux semblants, réalité et oeuvre de fiction se mélangent pour créer un extraordinaire sentiment de jamais lu.

brunilda a la plata

Nous sommes dans un théâtre. Une pièce s’y joue en continu. En ouverture de l’album, Brunilda, que l’on suppose jolie mais dont le visage est caché par ses paroles, demande ex abrupto à Norman dont on ignore tout, de le rejoindre le soir au restaurant La Plata. Norman irradie de bonheur. Rien de plus banal, si ce n’est la joie d’un rencard. Mais voilà, Norman est dans les coulisses du théâtre. Pour sortir et honorer son rendez vous à 21 heures, il doit sortir à la porte Est, en traversant la scène. Cette traversée est impossible en plein spectacle, un spectacle dont on ne sait quand il se terminera : le dramaturge écrit son texte au fur et à mesure de la représentation et ne tolère pas qu’on le dérange. C’est que la création est un acte difficile, un équilibre instable entre génie et médiocrité. L’auteur à la barbe et au chapeau de Claude Monet (mais en beaucoup plus svelte !) est en prise avec sa conscience, un Jiminy Cricket à la tête de clown. Un dernier acte génial c’est ce qu’il cherche, mais ne trouve pas. Auteur de théâtre, peut être est il aussi la métaphore de l’auteur de bd lui même en prise avec l’inspiration ou son absence ? Et puis qu’est ce qu’une oeuvre géniale ?

Devant tant de contrariétés, quelques machinistes, opérateurs, vont essayer d’aider Norman dans sa tentative de quitter le théâtre. Et si ils proposaient à l’auteur de créer un rôle pour Norman lui permettant de traverser la scène. Et si une émeute de spectateurs en colère d’attendre se déclenchait… Et si un endormissement général gagnait le public … Et si. Et si. Nous n’en dirons pas plus pour laisser au lecteur (trice) le plaisir, à la suite d’un suspense intenable, de découvrir si Norman pourra, ou non, honorer son rendez-vous avec Brunilda à La Plata.

À scénario improbable se mêlent des dessins hors normes même si l’on pense à Chris Ware notamment et sa division géométrique de l’espace avec de multiples zones de lecture, multipliant les mises en page, alternant gaufrier classique et planche diffractée. Les styles se mélangent et l’on est ébahi lorsque Genis Rigol évoque le passé par des gaufriers de 12 pages au crayonné pointillé qui côtoient un retour au présent et des décors de science fiction. On suit parfois son propre itinéraire de lecture et on prend plaisir à découvrir de multiples points de vue.

Comme pour les livres de l’auteur américain, l’objet est superbe avec une impression sur un papier épais qui n’est pas sans rappeler les premières BD quand quelques couleurs vieillissent l’apparence générale. C’est graphiquement beau et impressionnant. Rigol, dont c’est la première BD, fait preuve d’une grande virtuosité.

Finalement cette BD qui se lit comme un rêve ouvre des portes à de multiples questionnements dont tous ne sont pas compréhensibles. Nous sommes comme un spectateur face à ce fameux « quatrième mur » imaginaire, celui qui interfère entre les acteurs et le public. Quelle est la véritable pièce qui se joue devant nous ? Celle de la scène ou celle des coulisses ? Beaucoup de questions pour une BD hors des sentiers battus qui laisse un sentiment de plaisir et de songerie après sa lecture. Rigol nous permet d’explorer son histoire, sans tout expliquer. Comme un poème en somme.

Brunilda à la Plata de Genis Rigol. Éditions Rivages. 144 pages. 23€. Parution : 2 avril 2025.

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Eric Rubert
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