BD. La vie défile devant Le Balayeur des Lilas de Thierry Martin

balayeur de lilas thierry martin

C’est beau une rue du matin au soir, avec ses habitués, ses passants furtifs. Thierry Martin se saisit du regard d’un balayeur pour capter ses moments silencieux. Mais aussi tendres et poétiques.

D’abord il y a l’objet, le livre qui se présente sous la forme d’un leporello, ce livre accordéon qui se déploie, tel un travelling de cinéma. Il invite déjà notre regard à se promener.

Ensuite, il y a le titre, Le balayeur des Lilas, allusion évidente au « Poinçonneur des Lilas », la chanson de Serge Gainsbourg. Balayeur comme poinçonneur sont deux métiers transparents, ceux que depuis la pandémie de Covid, on qualifie de « invisibles ». Deux métiers qui, comme l’écrit Thierry Martin dans sa préface, sont la mémoire de notre quotidien. Ils sont là, présents, guetteurs des petits riens de la vie, des moments inutiles et vains. En apparence.

Le balayeur des Lilas arpente les rues, observe, même si celui de Thierry Martin lève peu le regard, penché par la vieillesse et l’attention portée aux feuilles mortes qu’il faut ramasser. Il part d’un square et sillonne les rues environnantes. On le suit dans une balade silencieuse, la matinée en recto, l’après midi en verso. Monsieur Hulot de Jacques Tati s’agite, écarte les bras, saute, quand il va de saynètes en saynètes, narratrices du quotidien. Notre balayeur anonyme, avance doucement, sans gestes superflus. Pourtant, on imagine le réalisateur de Playtime derrière la caméra, ou guidant le crayon de Thierry Martin. Il fait un long travelling d’une quarantaine de planches qui commence (où s’achève selon le sens de la lecture) par un square, rond de forme, comme le symbole d’une boucle perpétuelle qui ne se ferme jamais.

Avec le balayeur, on lève un peu la tête et on découvre un livre posé sur un banc qui nous rappelle Un peu de bois et d’acier de Chabouté, histoire muette d’un banc public. L’ouvrage oublié va aller dans d’autres mains. Nous allons vite le perdre de vue, noyé dans cette foule plongée le nez sur les portables, une maladie récurrente dont se moque Thierry Martin.

Le dessin est léger et le fond blanc offre un rideau parfait pour installer des silhouettes semblables à des mimes des rues. Malgré la saison automnale, la lumière inonde toutes les scènes.

le balayeur des lilas thierry martin

Devant nous, matin ou après-midi circulent en une page les âges de la vie d’une femme, les inventions formidables des graffeurs, graffés eux-mêmes par l’auteur. Les enfants vont à l’école et les terrasses des bars sont un véritable théâtre. On y voit des amoureux, des accros du téléphone (on vous l’avait dit !), des musiciens, un jogger et des pompiers, un livreur de colis. Des chiens et leurs crottes causent des soucis à un passant étourdi. Comme dans un dessin de Sempé une femme de forte corpulence rêve devant une pâtisserie.

ll y a aussi des mendiants et celui qui donne aux mendiants.

Il y a aussi des petits et des gros, des grands et des maigres, des jeunes et des vieux. Des gens.

Il y a aussi, et surtout, la poésie du quotidien, la tendresse pour les gens de peu, le regard bienveillant à l’égard des enfants jouant au foot avec une boîte de conserve.

Il y a en fait la poésie de la rue, de ce lieu ouvert à tous, où chacun se meut, bouge, vit sous le regard d’un balayeur. Ou celui d’un lecteur attendri qui recommence la lecture, page par page, pour chercher le cheminement de quelques personnages qui traversent les planches. Secondaires avant de devenir principaux. Comme dans la vie. Comme dans ce quartier des Lilas qui ressemble tant au votre. Au notre. Juste avant l’arrivée d’une balayeuse mécanique.

Le Balayeur des Lilas de Thierry Martin. Editions Oxymores. Collection Noctambule. 54 pages. 18,95€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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