BD Aux soirs de grand ardeur : le conte politico philosophique de Puzenat

aux soirs de grand ardeur

« Il était une fois ». Ainsi pourrait commencer ce conte initiatique dans lequel Nicolas Puzenat se sert du passé néolithique pour réfléchir sur notre futur. Instructif et passionnant.

Nicolas Puzenat n’aime pas le présent. En tout cas pas la fiction du présent. Nicolas Puzenat préfère les uchronies, cette réécriture contemporaine de faits historiques. Avec Megafauna, il imaginait que Néandertal avait survécu à Sapiens et dressé une muraille impénétrable avec les autres Hommes. Un jeune médecin devait aller à la rencontre de ce peuple différent, possesseur d’un savoir et de richesses immenses. Un voyage initiatique, une description de la sociabilisation des premiers individus, des fondements de la civilisation sont des thèmes que l’on retrouve dans Aux soirs de grande ardeur.

Quelques millénaires ont passé. Nous sommes à la fin de la période néolithique, celle qui précède l’âge de bronze. Le nomadisme des chasseurs cueilleurs va s’achever pour laisser la place à la domestication des animaux, aux premières cultures. L’Homme se sédentarise, se multiplie, met en commun ses forces. Commence alors une ère nouvelle : celle d’une vie sociétale avec l’instauration de hiérarchies, de pouvoirs. Les fondements de notre monde d’aujourd’hui.

Cette société en devenir, on la retrouve dans une petite cité entourée de forêts : Miril. Derrière les murs de la bourgade, s’est construite une communauté déjà structurée par les rapports de classes et de dominations. À la tête, le Rham, sorte de roi coiffé d’une couronne qui dirige la population selon sa volonté et surtout son désir d’amasser le maximum de richesses. Il exploite la grande majorité de ses sujets qui travaillent aux champs pour lui, parfois venus de tribus extérieures, pour gagner leur pitance quotidienne: « il faut que je nourrisse mes féaux : je les tiens aussi par le ventre ». À ses côtés, censé représenter la Justice, le Juge-Mage, cynique, corrompu jusqu’à la moelle. Et une cour de quelques courtisans plus ou moins sincères, ne voulant pas contrarier le Rham.

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Aucun doute sur les intentions de Nicolas Puzenat : dès les débuts de notre vie sociale, l’Homme est par nature animé de désirs égoïstes, le Bien officiellement recherché ne dissimulant que des pensées individuelles. Aussi pour cacher ces égoïsmes, il faut inventer des croyances collectives. À Miril, ces croyances résident dans le mythe des « chuchoteurs », fantômes de la conscience, que chaque individu renferme en lui, paroles et pensées d’un ancêtre souvent animé de mauvaises intentions, un Jiminy Cricket porteur de pulsions malsaines.

Rien ne semble pouvoir ébranler ce monde stabilisé jusqu’à ce que de terribles feux de forêts viennent menacer la cité. En fuite, la population quitte brutalement Miril. Parmi elle, un trio va réaliser un parcours initiatique lui faisant découvrir inconsciemment un précepte d’un conseiller sincère : « compter sur sa propre existence. Multiplier les aventures pour se donner le sentiment d’une vie bien pleine ». Kaal, le cuisinier de Rham, Manakor, sa servante et Ferline, une mystérieuse membre d’une tribu voisine, loin du groupe, cherchent leur propre voie.

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On l’aura compris, Nicolas Puzenat utilise la forme du conte politico philosophique pour distiller subtilement des réflexions sur la nature humaine profonde et les modalités organisationnelles de nos sociétés. Le récit se lit comme un récit d’aventure et les silhouettes des personnages nous renvoient aux contes et fables illustrés de notre enfance. Kaal à sa longue barbe brune et sa large tunique ressemble à Ulysse et Manakor aux pensées contradictoires rappelle les personnages féminins des contes scandinaves. Les illustrations de la Nature sont somptueuses. Les forêts d’où viennent les incendies, tel un symbole de vengeance, forment un cadre idyllique de vie. Les contrastes appuyés des couleurs et les flammes du feu à la fois terrifiantes et magnifiques contribuent à accentuer le caractère fantastique du récit.

Il faudra une longue marche périlleuse pour se débarrasser des chuchoteurs et apprendre à penser par soi même. Aucune morale simpliste pour autant. Traditions ancestrales fondatrices mais aussi oppressantes, évolution de l’humanité, quête du bonheur, autant de thèmes qui traversent ce récit d’aventures. Utilisant un graphisme de toute beauté, Nicolas Puzenat s’empare subtilement des livres d’historiens et de paléontologues, et nous invite avec un réel plaisir de lecture à réfléchir sur l’organisation naturelle de nos sociétés. Passées et à venir.

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Aux soirs de grande ardeur de Nicolas Puzenat. Editions Le Lombard. 112 pages. 20,45€. Parution :