Al Capone racontant sa vie à sa maman, cela devient un conte de fées. Sauf si Swann Meralli se met au scénario et Pierre-François Radice au dessin. Une BD parue aux éditions Sarbacane en août 2022.

La couverture de l’album nous dit beaucoup. Le titre d’abord : Al Capone, le nom de ce gangster d’origine italienne dont tout le monde croit connaître des faits d’armes. Le dessin ensuite : le visage du bandit coupé en deux par la lumière. À droite, le côté ombre, sombre, couvert de cicatrices. À gauche, la peau lisse et nette dans la lumière. Quelle face du personnage retenir et raconter ? Les premières pages peuvent nous donner une réponse. En 1938, Al Capone est prisonnier à Alcatraz et décide de se confier à sa mère en lui narrant son existence et les circonstances l’ayant conduit en prison. Alors il raconte, mais comme un bon petit garçon dévoile quelques bêtises insignifiantes à sa maman, sévère et pieuse. Pas naïf et surtout un peu mis au parfum de son histoire qui a dépassé le monde de l’Amérique et des années vingt-trente, le lecteur a rapidement des doutes quand Alphonse Gabriel Capone rappelle à sa petite maman qu’il lui avait juré d’être honnête toute sa vie et qu’il avait tenu sa promesse. Le ton général de la BD est ainsi donné, ce décalage qui en fait tout son charme, entre le texte empli de périphrases et de métaphores et les images montrant la réalité violente cachée derrière les mots insignifiants.

« Les deux frères cadets des Genna sont malencontreusement tombés d’un escalier », déclare à sa mère le gangster alors que les images montrent une tuerie sanglante.

C’est qu’il ne s’est pas fait tout seul et par la simple volonté du Saint-Esprit, le petit italien, chassé comme « rital » du monde du travail, y compris de la pègre. Lui qui ne doute de rien, surtout pas de lui même, va vite comprendre que la fortune peut venir non pas des « filles » et des bordels, mais de la prohibition. L’alcool à importer en douce, puis à fabriquer sur place sera son trésor. Sans scrupules, mais « honnête » selon les conseils de sa mama, Fonseco va gravir peu à peu les échelons de la crapulerie. Il va devenir Scarface, puis le chef unique de l’Organizzazione.

Bien entendu cela ne se fait pas sans casser des œufs, en l’occurrence des bandits sans scrupules, des Irlandais irrespectueux des règles et tant d’autres. Des débuts de New York au roi de Chicago, puis au « Grand Capone », il se trouvera bien quelques bavures. L’ocre ou l’orange, le brun dominent les autres couleurs de la BD, des couleurs qui finalement ne sont guère éloignées du rouge, rouge comme le sang qui éclabousse quelques pages, comme des taches de vin sur une feuille blanche.

Là est la réussite de l’album, une chronologie précise et historique des faits, la plupart violents, comme le fameux massacre de la Saint Valentin du 14 février 1929. Il raconté avec un recul ironique par le truand lui-même, accompagné d’un dessin tout en douceur, rondeurs où les personnages ressemblent plus à des hommes et femmes peints par Botéro qu’à des monstres diaboliques. Magnifique de sobriété, le dessin et la palette réduite font penser à la douceur des planches de Loustal. Les villes, éléments essentiels de décor dans ces histoires, ne sont pas traitées de manière hyper réaliste mais elles sont présentes par leur ambiance et atmosphère que chaque lecteur rattache lui-même à ses propres images et souvenirs cinématographiques. Le pont de Brooklyn se construit au-dessus de nos têtes et les immeubles monumentaux de Chicago étouffent les bruits des fusillades et règlements de comptes.

On apprend que ce récit à maman s’inspire en fait de souvenirs personnels du gangster confiés à un journaliste embauché en 1939 pour écrire son autobiographie et qui finalement renonça, le bandit ne voulant reconnaître aucun crime. Plutôt que renoncer, Meralli et Radice choisissent le dessin pour montrer la fausseté et l’ironie indirecte du texte. Un exercice que seule la BD pouvait permettre et un exercice réussi.

Al Capone de Swann Meralli au scénario et Pierre-François Radice au dessin. Éditions Sarbacane. 176 pages. 28 €.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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