Si, à la lecture de ces trois mots Ainsi parlait Zarathoustra, les percussions et les cuivres de Richard Strauss résonnent dans votre tête, c’est que vous êtes plus mélomane (ou cinéphile) que philosophe. Pierre-Héber Suffrin lui, entend immédiatement Nietzsche. Calé sur le sujet, l’ex-prof de philo rêve de le partager avec les cancres. Il le réalise avec une BD illustrée par Jean-Louis Lebrun.

 

pierre-heber-suffrin-zarathoustra-nietzsche-bdMontesquieu se demandait comment pouvait-on être persan. Pierre Héber-Suffrin lui se demandait comment parlait Zarathoustra, célèbre penseur qui aurait vécu en Perse au Ve s. avant J.C, ou peut-être Xe – les avis divergent ! Ce qui est sûr, c’est qu’il a profondément marqué Nietzsche, philosophe allemand du XIXe s. et, cent ans plus tard, le jeune homme qui, après ses humanités aux Cordeliers de Dinan et l’Institution de Saint-Malo, étanche sa soif de philo à la Sorbonne. Quelques années comme formateur à la BNP…puis il se réoriente vers l’enseignement de cette discipline, et se souvient avec délice d’une école à Paris où les « élèves chantaient tout le temps dans les couloirs – quelle joie ! ».

Pierre-Héber Suffrin
L’éditeur Gérard Desquesses, l’illustrateur Jean-Louis Lebrun et le co-auteur (textes) Pierre Héber-Suffrin

Héber-Suffrin publie plusieurs ouvrages sur Nietzsche (aux PUF, chez Bourgois, L’Harmattan, Kimé…) et cherche comment « rendre plus compréhensible, plus abordable, ce livre au premier abord bien énigmatique et d’accès difficile ». Le dessin semblait approprié (« des fois, j’illustrais mon propos par des dessins au tableau »). Le hasard faisant bien les choses, un soir, lors d’un diner chez des amis en Normandie, il évoque son dessein. Ses hôtes vont immédiatement sonner chez leur voisin éditeur, et présentent les deux hommes. Dans l’édition depuis 25 ans, Gérard Desquesses publie notamment des agendas thématiques avec citations et dessins. L’image et le texte le séduisent, alors l’idée d’une BD prend forme rapidement. Les deux hommes sollicitent le dessinateur Jean-Louis Lebrun.

Peintre et illustrateur, il a enseigné à l’Institut Régional d’art visuel de la Martinique. Il a exposé à Paris, aux Antilles, aux USA et s’investit maintenant dans le Manchot bulleur, association organisatrice du salon éponyme à Coutances.

pierre-heber-suffrin-zarathoustra-nietzsche-bdAprès deux ans de travail, le premier tome de l’œuvre majeure de Nietzsche sort enfin. La BD est très fidèle au texte initial du philosophe dans la traduction de Hans Hildenbrand (Kimé, 2012). On suit Zarathoustra – le nouveau prophète d’un dieu unique – dans sa quête, ses rencontres et ses réflexions. Première surprise : là où on s’attendrait à une représentation du genre enturbanné et en tunique (comme on imagine les hommes de l’époque), on découvre un Zarathoustra au look d’Indiana Jones avec son chapeau ! Il tente de prêcher dans une ville à l’allure stambouliote, traverse des paysages évocateurs du Far West, du Japon, ou de l’île de Pâques. Il croise des « bouffons solennels » qu’on identifie sans peine. On reconnaît le Discobole, un archer assyrien, Vinci, Wagner, Hopper, Rubens, Botticelli… Bonne idée : pour chacun des thèmes abordés, une « chouette » philosophe donne un éclairage pédagogique bienvenu qui délivre des clefs pour une meilleure compréhension de cette pensée originale et poétique. « Vouloir libère », certes. Reste qu’il faut une bonne dose de volonté pour décrypter le message de Nietzsche ! Comme les textes sacrés, il est tellement alambiqué qu’on peut l’interpréter à sa guise. N’est-ce-pas, Adolf ?

pierre-heber-suffrin-zarathoustra-nietzsche-bdPour Heber-Suffrin, « c’est clair, il n’y a pas un soupçon d’antisémitisme chez Nietzsche ». En revanche, aucun doute sur son machisme (« Deviens celui que tu es », vraiment ?). La phrase « L’homme doit être élevé pour la guerre et la femme pour le repos du guerrier » nous fait horreur quand on pense au sort des jeunes filles enlevées par Daesh ou Boko Haram. Nietzsche en était convaincu : « Tout chez la femme est énigme et tout chez la femme a une solution : elle s’appelle grossesse ». Ben tiens ! Cela ne nous le rend pas sympathique, pas plus que ces histoires de surhomme – en plus, ça mène à la folie !

Reste que bientôt il y a le bac, et cette BD aidera peut-être les candidat(e)s à se surpasser. En tous cas, question orthographe, qu’ils ne s’inquiètent pas : même le prof de philo fait une erreur en écrivant le nom du maître (p.25)! Dieu est mort. Le surhomme aussi.

 BD Ainsi parlait Zarathoustra Pierre-Héber Suffrin, GD Editions, avril 2015, 18,50€  

 

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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