À quoi rêvent les pieuvres ? est une bande dessinée singulière, émouvante et doucement initiatique, publiée aux éditions Jungle le 10 avril 2025.
Réalisée à six mains par Pierre-Roland Saint-Dizier (scénariste chevronné), Alex Dos Santos (scénariste débutant) et Leyho (dessinateur), elle s’inscrit dans la collection Ramdam, qui mise sur des récits à hauteur d’âme. Ce roman graphique nous emmène sur les côtes du Finistère, à la célèbre Station biologique de Roscoff, haut lieu de la recherche en biologie marine. Mais sous le vernis scientifique affleure très vite une quête de soi, de lien, de reconstruction. Entre science, douceur et résilience, une plongée réconfortante dans les profondeurs humaines et marines.
Fred et les pieuvres : fragments d’une renaissance
Le personnage principal, Frédérique — Fred — est une jeune chercheuse fraîchement diplômée, ou presque. Après un échec cuisant de thèse en océanographie sur le plancton, elle tente de se relever. Loin du carcan universitaire et de ses humiliations, elle décroche un poste inespéré dans un programme sur l’intelligence des céphalopodes. Elle rejoint ainsi une petite équipe aussi chaleureuse qu’éclectique dans les locaux de la station biologique de Roscoff.
Ce qui aurait pu être une simple tranche de vie professionnelle se mue peu à peu en récit d’émancipation personnelle. Fred, cabossée mais curieuse, se prend d’affection pour ses collègues, mais surtout pour ses nouveaux sujets d’observation : les pieuvres, fascinantes créatures à neuf cerveaux, capables de camouflage, de jeu, et peut-être, qui sait, de rêver. À leur contact, elle découvre un autre rapport au monde : fluide, changeant, multiple. Le parallèle est évident, mais jamais forcé : Fred aussi, à sa manière, doit réapprendre à respirer sous l’eau.
Une narration polyphonique et fluide
Le scénario, écrit en tandem par Saint-Dizier et Dos Santos, allie la solidité narrative de l’un à la fraîcheur sensible de l’autre. La tonalité est douce-amère, sans pathos ni naïveté, ce qui rend la lecture fluide et attachante. L’humour affleure constamment, souvent par les dialogues entre les membres de l’équipe scientifique, dont la dynamique fait penser à une sitcom bien écrite, sans jamais sombrer dans la caricature.
Le dessin de Leyho accompagne parfaitement ce récit. Son trait souple et expressif, aux couleurs à la fois tendres et iodées, capture la lumière changeante de la mer bretonne, les recoins mystérieux des laboratoires, et surtout la beauté intrigante des pieuvres, qui deviennent peu à peu les véritables alter ego symboliques de l’héroïne. Certaines planches, presque contemplatives, donnent à voir le monde marin comme un espace de rêverie et de réconciliation intérieure.
Une BD réconfortante et pas mièvre
Ce qui frappe dans À quoi rêvent les pieuvres ?, c’est sa capacité à toucher sans appuyer. À l’heure où de nombreuses fictions optent pour le choc ou le cynisme, cette bande dessinée propose une émotion sincère, sans jamais sombrer dans la facilité. Elle parle de burn-out académique, de solitude, d’échecs et de doutes, mais aussi de transmission, de découverte de soi, et de la puissance des secondes chances.
Ce récit a le mérite rare de parler de science sans didactisme, de travail sans misérabilisme, et d’amitié sans clichés. On y apprend beaucoup sur les pieuvres — et un peu plus sur nous-mêmes.
Un petit bijou iodé
Avec À quoi rêvent les pieuvres ?, Pierre-Roland Saint-Dizier, Alex Dos Santos et Leyho signent une bande dessinée qui fait du bien sans être tiède, qui explore les mondes marins et intérieurs avec une délicatesse rare. C’est une lecture idéale pour tous les âges, mais elle résonnera tout particulièrement chez celles et ceux qui, un jour, ont dû reprendre leur souffle après une chute. En somme, un livre qui nous rappelle qu’on peut toujours apprendre à nager autrement — et que parfois, pour mieux voir, il faut plonger plus profond.
À quoi rêvent les pieuvres ?, Pierre-Roland Saint-Dizier (scénario), Leyho (dessin), Alex Dos Santos (scénario). Éditions Jungle. 128 pages. 22€95. Parution : 10 Avril 2025. Lire un extrait