Le centenaire du début de la Première Guerre mondiale suscite un flux éditorial énorme. Parmi cette masse d’ouvrages, Unidivers a découvert une pépite. Au rayon « Jeunesse ». Un livre pourtant à mettre entre toutes les mains. Découverte.

L’un des plaisirs essentiels du lecteur est de découvrir seul – sans critique, sans conseil, sans a priori – un livre dont il sait, lors de son achat, que c’est LE livre avec qui il a un rendez-vous. Ce livre qui va l’accompagner plusieurs jours peut être même plusieurs années durant. Ce moment rare dans une année de lecture, nous l’avons découvert sur un présentoir par hasard – attiré d’abord par un format, grand, ample. Et puis un titre « 14-18 »  et surtout un sous-titre « une minute de silence à nos grands pères courageux » qui par sa poésie et son objet laissaient présager un livre muet et évocateur. Enfin une couverture sobre, monochrome, sépia au graphisme séduisant.  Heureux hasard d’une superbe rencontre.

14-18, bd, bande, dessiné, guerre, grande, première, minute, grands-pères, gueules casséesEt puis en feuilletant le mince livre, immédiatement, la perception d’une déflagration, comme celle du dessin de couverture.  Déflagration des obus qui soulèvent la terre, chargent le ciel, plombent la lumière fracassée de traits et de taches. Déflagration des doubles pages et des dessins d’un monde onirique, mais pourtant au plus près de la réalité. Déflagration d’un souffle graphique qui vous emporte, car ce livre est un livre d’images.

14-18, bd, bande, dessiné, guerre, grande, première, minute, grands-pères, gueules cassées« Hélas, ma chère Adèle, il n’y a plus de mots pour décrire ce que je vis. » Gustave. Ce sont les seuls mots de l’ouvrage, ceux qui ouvrent le livre et expliquent la démarche du dessinateur. Pas un mot supplémentaire avant la dernière page. Comme si le langage quotidien était trop faible pour traduire l’horreur. Le dessin suffit. Il suffit pour montrer des soldats dont on ne voit jamais le visage,  l’horreur de la guerre leur faisant perdre toute humanité. Les combattants sont souvent de dos, ou leur tête est cachée par des masques à gaz, masquée derrière une tête de mort. La guerre fait d’eux des ombres, des silhouettes, mais pas des hommes. Les seules figures, exceptionnelles, sont celles de soldats posant (pour un photographe ?) sereinement avant que, quelques pages plus tard, quelques années plus tard, elles deviennent des « gueules cassées ». Portraits pleine page. Page pleine. Pleine de vérité, pleine de compassion, pleine d’amour et d’horreur.

14-18, bd, bande, dessiné, guerre, grande, première, minute, grands-pères, gueules casséesComme le lièvre brusquement chassé de son calme paysage par un char gigantesque et incongru, le soldat sort de terre, anonyme, minuscule. Il part à la conquête d’un ciel lourd menaçant qui plane sur toutes les pages, ciel sans horizon, but ultime à atteindre au bout de nulle part. Le pastel sépia bouche toute perspective, fait entendre les déflagrations, modifie toute perception, comme ce pou microscopique qui en pleine double page devient plus terrifiant qu’un char d’assaut. Sans texte, sans bulle, l’auteur nous fait entendre le vacarme des obus, des charges à la baïonnette, mais aussi le calme, la solitude que le cheval  partage avec le soldat, solitude dans un paysage de rien. Pour rien. Le sépia étouffe, enveloppe, arrondit pour alourdir la douleur, l’oppression. Le sépia fait du bruit, des sons. Le sépia est la couleur de la terre qui ensevelit, enfonce, enveloppe, colle aux chaussures et à l’âme. Et puis Tardi a déjà pris le noir et blanc.

bd, 14-18Sans artifice la mise en page donne du rythme à l’ouvrage. Une seule page, presque blanche, sur laquelle s’nvole un corbeau, apporte la lumière. Une respiration qui par sa blancheur éblouit presque le lecteur. Elle est précieuse cette page avant que l’horreur s’accroisse.

Elle dit qu’un jour, sans doute, cette horreur s’envolera comme l’oiseau. Elle aura une fin. Une fin avec une photo, une médaille, un certificat de bonne conduite.

14-18, bd, bande, dessiné, guerre, grande, première, minute, grands-pères, gueules casséesL’ouvrage se termine par une enveloppe collée sur la quatrième de couverture. Les seuls mots du livre. À l’intérieur de l’enveloppe, une lettre. Une lettre d’une femme à son mari. Une lettre emplie de mots simples, mais forts. Des mots simples qui dévoilent la douleur, l’absence, la peur, l’isolement. Des mots simples qui décrivent la guerre.

Un livre « jeunesse » ? Un livre pour tous ceux qui veulent comprendre et voir la douleur des hommes dans la guerre. Un livre pour tous qui mérite le nom de littérature.

BD 14-18, une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux Thierry Dedieu, Le Seuil, février 2014, 18€

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BD 14-18, une minute de silence à nos grands pères courageux

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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