Barcelona ! c’est le nouveau roman de Grégoire Polet. Il raconte la crise de 2008 dans une ville espagnole multiple et perdue. Un roman qui donne la parole à des riches et à des pauvres, à des jeunes et à des vieux. Sans manichéisme mais avec finesse. Hautement recommandé par Unidivers.

 

Cela ressemble à un commentaire d’un match de football du Barça dans son stade du Camp Nou. Le Barça des années 2008 à 2011. Celui de Guardiola : Piqué passe à Messi qui dribble et transmet à Henry qui glisse à Eto’o qui feinte et donne à Xavi !… Dans Barcelona de Grégoire Polet, Begonya quitte Blanca et Anastasia et rencontre la photographe Véronica qui s’éloigne d’Albert son père qui rencontre Michèle et son mari jaloux Nico, qui vivent sur le palier de Raquel qui fréquente Gavilan le libraire… Dans ce roman choral au style fluide comme le jeu barcelonais de l’époque, les mots passent d’un acteur à l’autre, avec des pauses, des temps de jeu afin d’apprendre à mieux connaître les personnages – attachants ou odieux – avant de repartir en accéléré sur un tempo qui se déroule à une vitesse vertigineuse durant 420 pages.

barcelonaDes gradins, nous assistons à l’arrivée de la crise financière qui frappe toute l’Europe et Barcelone où vit désormais l’écrivain belge Grégoire Polet. C’est une ville devenue sans repère pour ses habitants. Seuls subsistent comme points d’ancrage les hauts lieux historiques, comme les constructions de Gaudi qu’Albert, guide touristique, imagine en une superbe métaphore comme les seules architectures subsistant à toutes les tempêtes. C’est que le présent désoriente nos personnages ; y compris Begonia, fille d’un puissant politicien, promise à une carrière toute droite et tracée mais qui va remettre en cause le pouvoir de l’argent. Sur fond de lutte indépendantiste, les vieux comme les jeunes, les policiers auteurs de romans comme les pigistes ambitieux, tentent de se frayer un chemin dans ce monde dont les codes se perdent et se fissurent. Il faut bien cette vingtaine de personnages différents pour montrer toutes ces difficultés générationnelles, sociales, intellectuelles et la volonté de la plupart de trouver leur vie. Ou de la quitter.

Certains vont se réfugier sur un bateau, prétexte à fuir le monde. D’autres, à travers le prisme de leurs objectifs vont partir à la découverte de pays plus violents, plus marqués encore par la guerre ou les catastrophes naturelles, comme un exorcisme. D’autres vont se rendre sur cette place centrale de Catalogne avec Begonya et des centaines d’insurgés pour comprendre ce qui peut pousser ces jeunes non-violents à rejeter un monde qui les oublie. Mais Grégoire Polet ne tombe pas dans un manichéisme facile. La multiplicité des personnages lui permet de faire valoir de nombreux points de vue : du politicien cynique et odieux aux manifestants parfois dérisoires dans leur manière de tourner en rond. Il mêle habilement les vies privées de ces personnages avec les cataclysmes sociétaux. Il raconte la vie à hauteur d’homme. Avec l’écrivain, on cherche les réponses aux questions que pose cette crise financière majeure et destructrice. Aucune vérité n’est assénée : l’Histoire est trop complexe comme le sont nos « héros ». La vie ne peut se résumer à un slogan.

Ce roman ne serait pas aussi fort s’il n’y avait pas Barcelone en toile de fond. Barcelone du foot, celui des bas-fonds ou des colloques des puissants, Barcelone catalan et Barcelone espagnol. Une ville qui grouille, une ville qui vit au rythme d’un vieux libraire devenu amoureux ou d’un couple de Français rêvant d’ascension sociale. Après Madrid (Paris ne dort pas), Paris (Leurs vies éclatantes), Grégoire Polet fait de la cité catalane une actrice de ce récit, représentante d’une Espagne meurtrie, qui se cherche, à l’image de ces Indignés dont les tentes ont longtemps figuré le symbole d’une jeunesse européenne désenchantée.

Dans les superbes derniers chapitres, la ville demeure fixe et volontaire. Belle et inventive. Éternelle et résistant à tout. Et avec elle il subsiste l’amour, celui de la fille pour un père atteint d’un cancer, de Begonya pour Seydou, d’un homme pour sa femme artiste suicidée. La ville comme dernier rempart de l’amour. Il fallait oser. Gégoire Polet l’a fait. Avec talent.

 Grégoire Polet Barcelona !, Gallimard, 480 pages, 22€

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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