Cinq femmes assassinées dont les corps sont dissimulés dans une pièce secrète, il faut vraiment l’imagination d’un Charles Perrault pour y trouver un sujet de conte pour enfants… Avec Offenbach, c’est mieux encore : on arrive à en rire ! Barbe bleue pardi !

 

Si l’année passée l’équipe de l’opéra de Rennes avait tapé juste avec « la revue des ambassadeurs » (voir notre article), elle ne s’est de nouveau pas trompée. L’obligation de légèreté qui s’imposait à elle en cette période de surcharge tous azimuts a été intégralement respectée.

Il faut préciser tout de suite aux esprits chagrins et aux âmes rigoureuses aspirant à l’odeur de sainteté que ce Barbe bleu, macho et serial killer des temps modernes, est une œuvre plutôt truculente où règne une certaine verdeur de langage et de gestes… On est donc prié de ne pas s’en offusquer, mais bien de considérer que cette œuvre correspond à une époque, éventuellement à des lieux, et qu’il s’agit bien d’un divertissement populaire, boulevardier, dans lequel la satire de société est évidente et souvent acerbe.

Waut Koeken a, dans ses choix de mise en scène, parfaitement saisi cette dimension politique et a resitué avec adresse quelques scènes dans notre actualité. On voit donc apparaître le portrait d’un ancien président, des scènes d’archives ou les hommes politiques sont mis à toutes les sauces. Objectif : souligner que bien peu de choses ont changé malgré le temps passé. Il y a dans les ridicules des « grands » une indiscutable intemporalité… Cette mise en scène brille également par son dynamisme. Tout s’enchaîne avec efficacité et les décors de Yannick Larrivée (comme les costumes) épousent le récit. Un « narrateur », en la personne de Gordon Wilson, établit le lien entre tous les tableaux et facilite une compréhension des événements que même un enfant de 8 ans pourrait saisir.

Le premier acte (qui se situe dans un immense lit) nous fait découvrir la princesse Hermia, vivant sous le nom de « fleurette » et son prince « Saphir ». Les rôles sont bien tenus par Gabrielle Philiponet et Loîc Félix. Nous faisons connaissance également de « Boulotte » en la personne de Carine Séchaye et de « Popolani », l’excellent Pierre Doyen. Il apparaît très vite que les chanteurs sont très à l’aise avec leur partition, les nombreuses représentations de cette œuvre leur ont permis d’acquérir une aisance qui confère fluidité et légèreté à leur interprétation. D’un point de vue vocal, c’est sans doute Mathias Vidal qui retiendra le plus notre attention. Il campe un barbe bleu méphitique et burlesque emporté par une musique digne du french cancan. La troupe des chanteuses et chanteurs n’est pas en reste et l’encadre avec une belle énergie lorsqu’il chante à tue-tête – « Je suis barbe bleu ô gué, jamais veuf ne fut plus gai ! » Le ministre des « Affaires bizarres », l’énigmatique comte Oscar, tenu par Flanann Obé, démontre à la fois de belles qualités vocales et une présence sur scène des plus théâtrales.

L’ouverture du rideau au second montre un conte Oscar vautré devant la télé, « zappant » à l’envi. Le tableau devient vite plus sombre et l’intervention d’un chœur d’hommes portant des chapeaux melon noirs annonce les mauvaises intentions du roi « Bobèche ». La critique politique n’est plus du tout sous-jacente ; Raphaël Bremard, l’interprète survolté de ce monarque d’opérette, affublé d’une reine Clémentine (Sophie Angebault), pas moins déjantée, apporte au personnage une dimension ridicule qui ne laisse pas de place au doute. Il est étonnant que la censure de l’époque ait laissé passer une satire du pouvoir si évidente et d’une telle insolence.

Le roi souhaite pour le mariage de sa fille une cérémonie grandiose dont le budget atteint le PIB du Mali (sic). S’en suit une scène de danse avec une mappemonde légère qui est un évident coup d’œil anachronique au « dictateur » de Charlie Chaplin. C’est certainement le moment ou l’on s’amuse le plus. La musique d’Offenbach prend des teintes martiales qui donnent envie de taper du pied et d‘accompagner l’orchestre. Le divertissant ballet « voici cet heureux couple » est ponctué de bruits de bouche suggérant ceux de baisers – du plus amusant effet.

L’ouverture du troisième acte apréente des accents Faustiens, mais la dimension comique reprend bien vite le dessus. Que penser de la déclaration de Barbe bleue évoquant son goût pour la vie « Carpe diem, cela vaut bien un requiem »… On ne peut guère qu’en rire !

L’intervention du narrateur invectivant les protagonistes du haut des balcons de l’opéra semble être le signal du plus total des relâchements. Tout va en s’accélérant. Le chef d’orchestre, Laurent Campellone, affublé d’un chapeau pointu et d’une langue de belle-mère simule l’ébriété, et s’adresse au public ; il est suivi par l’orchestre symphonique de Bretagne qui offre une cacophonie des plus réjouissantes.

Parlons-en d’ailleurs de notre orchestre… Comme à l’accoutumée, il semble très à l’aise et à l’évidence s’amuse beaucoup. Les musiciens ont pris l’habitude d’être sollicités – lors de leurs dernières prestations, on les a vu danser, parfois même chanter. Pas de raison d’y déroger cette fois : ils manifestent bruyamment leur présence.

C’est en apothéose que termine ce Barbe bleue avec une cérémonie de mariage en forme de pardon collectif. Les cinq femmes, bien vivantes, épousent les cinq seigneurs épargnés par le comte Oscar. De leur côté, Hermia et son prince convolent en justes noces pendant que Barbe bleue reçoit le pardon de « Boulotte », sa bouillonnante épouse qu’il aurait bien aimé occire.

Cette œuvre d’Offenbach s’avère un choix judicieux. Sans être une pièce majeure, elle est divertissante, un brin populacière certes, mais ne boudons pas notre plaisir. C’est sans doute la cohérence de l’ensemble qui participe au succès mérité de cette coproduction. Une bonne mise en scène, des décors et des costumes réussis, des chorégraphies bien huilées, sans oublier des éclairages bien pensés. Tout concourt à laisser une impression de réussite et a valu une longue ovation à des protagonistes épuisés qui avaient vraiment tout donné.

Barbe bleue, opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach 
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy (1866)

DÉCEMBRE 2014 : LUNDI 29, 20h – MERCREDI 31, 20h
JANVIER 2015  : JEUDI 1er, 16h – SAMEDI 3, 18h*

Voir toutes les infos pratiques ici

 

DIRECTION MUSICALE LAURENT CAMPELLONE
MISE EN SCENE WAUT KOEKEN
DECORS ET COSTUMES YANNICK LARRIVÉE
LUMIERES GLEN D’HAENENS
CHOREGRAPHIE ELA BAUMANN ET JOSHUA MONTEN

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE
CHŒUR D’ANGERS-NANTES OPERA

DIRECTION  XAVIER RIBES

BARBE BLEUE MATHIAS VIDAL
LE ROI BOBÊCHE RAPHAEL BRÉMARD
LE COMTE OSCAR FLANNAN OBÉ
POPOLANI PIERRE DOYEN
LE PRINCE SAPHIR LOÏC FELIX
BOULOTTE CARINE SÉCHAYE
LA PRINCESSE HERMIA/FLEURETTE GABRIELLE PHILIPONET
LA REINE CLÉMENTINE SOPHIE ANGEBAULT

 

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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