Dérive noctambule Au Bar de l’oubli et autres textes de Jacques Josse

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jacques josse au bar oubli

Qui ne s’est pas retrouvé, un soir d’écume, au comptoir d’un caboulot – de préférence breton – dans la fumée, les éclats de voix et les tournées de bière, là où le monde se fait et se défait tout au long de la nuit, celui-là ou celle-là aura sans doute peu vécu. Jacques Josse, Rennais de longue date et poète à mieux reconnaître, livre ici une petite merveille pleine de tendresse et de sensibilité sur ces instants de dérive.

Il ne s’agit pas d’invoquer le « divin Debord » ou de plaquer sur le texte une théorie de la dérive au sens situationniste du terme, même si l’ombre de Guy Debord n’est jamais très loin. C’est bien de dérive qu’il est question : se laisser aller aux sollicitations du terrain, aux rencontres, aux visages croisés au hasard, après avoir aboli – au moins provisoirement – les obligations du quotidien.

« Perché en haut d’une falaise, le bar de l’Oubli est un lieu réputé de la côte nord de la Bretagne, fréquenté par les noctambules et les voyageurs de passage. Poètes et écrivains disparus y ont leur photo sur les murs. Après avoir bravé la tempête, traversé la lande et emprunté le chemin des douaniers, un homme découvre cet endroit. Les tournées et les rencontres se succèdent. » Tout est là : un décor battu par les vents, les silhouettes qui entrent et sortent, la mémoire littéraire accrochée aux murs.

Pas de faux-semblants ici ni de littérature germanopratine hors sol. Si beaucoup d’auteurs sont cités, on n’est pas si loin de l’atmosphère de La Chute de Camus ou de certains romans de Carco : un narrateur un peu cabossé, un bar comme poste d’observation sur le monde, une humanité fragile qui se confie entre deux verres. L’endroit évoque autant le Trégor que le Léon – selon les attaches – mais chacun pourra y reconnaître ces bars du bout du monde posés au bord de l’océan breton.

Deux autres textes complètent la première nouvelle et prolongent cette dérive noctambule, entre errance, mélancolie et humour discret. On aime : une idée de cadeau qui ne ruinera pas, et qui laissera pourtant longtemps après lecture ce goût de sel, de nuit et de voix qui ne s’éteignent pas tout à fait.

Au Bar de l’oubli et autres textes, Jacques Josse, éditions Le Réalgar, novembre 2025, 7 €.

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