Le ministre de l’Intérieur vient d’annoncer sa volonté de baisser les limitations de vitesses des voitures de 10 km/h. Au-delà de l’effet d’annonce en cette période de départs en vacance, cette mesure est-elle viable ? Et a-t-elle un intérêt ?

 

Plusieurs éléments doivent être pris en compte pour mesurer l’efficacité d’une telle mesure. L’aspect sécuritaire a été mis en avant par le ministre alors que la vitesse n’est qu’un facteur aggravant dans l’accidentologie et non un facteur causal majeur. L’élément écologique est à prendre en considération, mais peut conduire à des résultats étonnants… Qui dit vitesse, dit contrôle et donc amende. L’intérêt de la mesure pourrait-il être économique ? Mais, avant tout, il y a l’humain derrière le volant et son comportement.

Voilà ce qu'il reste après un choc à 60km/h
Voilà ce qu’il reste après un choc à 60km/h

Sécurité

La vitesse excessive est rarement une cause d’accident. Elle l’est lorsque la vitesse est inadaptée aux conditions d’adhérence et de visibilité ; dans ces cas, les vitesses ` »conseillées » sont inférieures de 10 à 20 km/h, voire 50, dans des conditions de visibilité précaires. Si les limitations par temps sec sont généralement respectées à 10 km/h près, ce n’est pas le cas lorsque la chaussée est humide, les conducteurs faisant trop confiance à leurs véhicules modernes bardées d’ABS (système antiblocage de frein), d’ESP (anti patinage) et autres béquilles électroniques. La physique a des lois et les pneus larges, généralisés sur nos véhicules, ne sont pas très amis avec la pluie (risque d’aquaplanage).

Solution peu onéreuse à mettre en place et très efficace pour réduire les accidents sur les autoroutes : donner une amende à tout chauffeur dont le ticket au moment de régler à la borne de sortie indique qu’il a parcouru une distance de A à B à une vitesse supérieure à, par exemple, 140km/h. Idée simple, mais précisément peut-être trop simple pour l’Etat. De fait, tous les conducteurs changeront leur comportement dès lors qu’il n’y a plus de possibilités d’échapper aux mailles du filet. Moins d’accident, moins d’argent immédiat pour les caisses, des économies substantielles pour l’Etat.

L’intérêt sécuritaire serait donc aussi dans le facteur aggravant, c’est-à-dire la dissipation de l’énergie due à la vitesse. Pour un même véhicule, à 100 km/h, l’énergie grimpe de 20 % pour seulement 10 km/h de plus. En ville on monte à 40 % d’augmentation de l’énergie ; les crash tests EuroNCAP sont là pour témoigner de ce qu’il restera du véhicule à 60Km/h. Un vrai argument sécuritaire ne peut faire l’économie d’une campagne volontariste sur le respect des distances de sécurité et des vitesses dans les conditions difficiles, justement là où il n’y a aucun contrôle!

Financièrement

Changer les limitations de vitesse créera forcément une période où les conducteurs oublieront ces nouvelles limitations et seront sanctionnables. Cette période qui dure généralement une année représente une manne financière considérable. Mais il faut aussi prendre en compte les moyens de contrôle et leur maintenance qui a visiblement été sous-évaluée par nos élus. 10 % des radars sont en panne, par usure ou vandalisme. Mettre en place de nouvelles limitations, c’est changer les réglages de tous les radars ; ce qui pèse donc sur le gain potentiel. Ce ratio a dû être étudié en haut lieu…

10% des radars en panne !
10 % des radars en panne !

Ecologiquement

10 km/h de plus ou de moins vont-ils faire consommer différemment les véhicules. Nous serions tentés de répondre : automatiquement. Pourtant la réponse n’est pas si simple, car tout dépend du véhicule. Le rendement d’un moteur avec sa boite de vitesse (ou ses systèmes hybrides) n’est pas linéaire. Il y a des phases et des vitesses qui rendront le rendement optimal en fonction des rapports de boite de vitesse et des cartographies moteur (les réglages de l’électronique du moteur).

Ajoutons à cela les cartographiques spécifiques aux cycles d’homologations qui peuvent transfigurer un moteur en consommation (voir les constructeurs allemands épinglés pour leur trop grand écart avec la réalité). En réalité, la baisse en consommation n’est pas du tout automatique. En ce qui concerne les autres polluants, certains augmenteront avec cette baisse de vitesse tandis que d’autres baisseront, comme le rappelle un rapport du SETRA en 2009. Ainsi, les particules deviennent-elles plus importantes sur ces basses vitesses, surtout pour les véhicules les plus anciens, de même pour les NOx.

Les NOx en fonction de la vitesse
Les NOx en fonction de la vitesse (Source SETRA)

En ville, une baisse à 30 ou 40 km/h changera-t-elle les comportements pour pousser les conducteurs à ne plus prendre leur véhicule ? Le conducteur pense d’abord en temps plutôt qu’en vitesse et si un autre moyen s’avère aussi performant, il changera de comportement. Une baisse drastique en ville serait la seule solution pour changer véritablement les comportements. Mais à 30Km/h, avec des à-coups de circulation, de nombreuses relances, cette mesure s’accompagnerait d’abord d’une hausse de pollution.

Comportementalement

Le comportement latin des Français et leur côté râleur n’aboutiront pas à un changement rapide des vitesses moyennes. En un ou deux ans, avec moult contraventions, les moyennes s’abaisseront, mais pas automatiquement le nombre d’accidents et surtout de morts. D’autres facteurs aléatoires comme la météo peuvent intervenir. L’augmentation du confort dans les véhicules, accompagné d’une sécurité en hausse, donne aussi un sentiment d’invulnérabilité et fait oublier rapidement la vitesse. Plus que la vitesse, c’est l’apprentissage du respect des autres, de la vie en communauté et de la solidarité qui fera changer véritablement et la sécurité et l’environnement.

Les particules en fonction de la vitesse
Les particules en fonction de la vitesse (source SETRA)

Bannir les voitures en ville semble souhaitable, mais cela doit s’accompagner d’une réflexion sur l’aménagement du territoire, c’est-à-dire de l’emplacement des services et commerces, les transports proposés et les conditions de circulation des cyclistes. Ajoutons à cela des aménagements intelligents des carrefours à l’exemple de nos voisins européens qui différencient mieux les voies des différents types de véhicules. Baisser la vitesse sur autoroute en fait perdre l’intérêt alors que certaines portions peuvent sans problème accueillir des véhicules à 150Km/h en toute sécurité et sans trop de surconsommation (mais avec une augmentation de polluants) tandis que pour d’autres 90 km/h parait plus adapté. Enfin sur le réseau secondaire, le plus meurtrier, 80 km/h parait un bon compromis et conserverait un intérêt aux autoroutes dont les prix grimpent chaque année.

Présentées avec des arguments purement sécuritaires, les mesures proposées ne peuvent remporter l’adhésion des Français. Mais en jouant sur la modulation, l’éducation, l’environnement, ces mesures pourraient faire preuve de bon sens. D’autant que les sommes récoltées devraient aller en priorité dans un meilleur aménagement du territoire et une amélioration des autres moyens de transport plus respectueux de l’environnement. Mais le manque de clarté du budget n’aidera aucunement à cela.

Didier Ackermann et Nicolas Roberti

Sources : Rapport du SETRA sur les émissions de polluants atmosphériques.

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Didier Acker
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