Piki était sans conteste la goudou la plus cool de la ville, quand je suis arrivée à Helsinki, encore jeunette et sans aucune expérience des femmes. Avec ses dix ans de plus que moi, elle avait déjà fait le tour du monde homo de Helsinki. Elle avait hanté les couloirs de tous les bars d’hier et d’aujourd’hui, non sans les arroser copieusement au passage, soit en renversant des chopes, soit en vomissant dessus, ou en faisant pisser le sang à une petite camionneuse insolente. Elle avait participé au front de libération, arpenté les marches des fiertés, fréquenté le Gambrini, et elle étalait son sourire dans la revue Seta.

Elle connaissait tout le monde, et tout le monde la connaissait. Elle avait couché avec cinquante-cinq femmes avant moi, elle avait volé des voitures, dealé du speed. Elle portait des tatouages et des piercings, et elle écoutait Musta Paraati et Lords of the New Church. Elle avait des rangers à lacets rouges et fumait des Camel. Sur une chemise d’homme et un pantalon court, elle arborait des bretelles rouges et une cravate.

saofi oksanen baby janeD’emblée, dans le nouveau roman de Sofi Oksanen, le personnage principal, Baby Jane, et l’univers de cette marge homo d’Helsinki sont parfaitement campés. Tout fonctionne. Mais, le temps étant passé, qu’est-il arrivé à Baby Jane  pour qu’elle soit devenue cet être en détresse, cloîtrée chez elle, dépendante et jalouse de ses amies, gavée de bières et de whiskey ?

La narratrice, sa dernière petite amie, belle et féminine, complètement envoûtée par le charme de Piki, raconte leur vie commune, leur travail et leurs doutes. Refusant de sortir afin de subvenir à leurs besoins, elles font paraître des annonces de vente de sous-vêtements, créant ainsi une sorte de minitel rose pour fétichistes. Piki, avec sa voix de velours, attire les clients, la narratrice porte les sous-vêtements et les envoie aux clients.

Très vite, elle se demande pourquoi Piki ne veut jamais sortir avec elle, pourquoi elle a besoin de boire avant de la rencontrer, pourquoi elle reste aussi dépendante de Bossa, son ex-petite amie. La jalousie s’installe rapidement, s’attise au moindre détail, jusqu’à devenir violente. Car il s’agit bien d’une passion réciproque et destructrice entre ces deux femmes. Les rapports deviennent violents dans les mots et les gestes.

Lorsque la narratrice part vivre avec Joonatan, un homme qui ne pose pas trop de questions, Piki s’enfonce encore davantage dans son univers, reprise par ses troubles de panique, sa dépression.

La vie de Piki a un goût de cailloux et de graviers pour rien du tout, c’est pour rien que sa lumière a la couleur du cachot. Tout ça pour rien. Piki n’est pas faite pour ce monde.

Même si la narratrice garde en elle l’amour et l’attachement nostalgique à son ancienne amante.

Si seulement pendant un certain temps on pouvait rire ensemble sans verser de larmes ni se disputer une seule fois. Alors elle laisserait sa voix retrouver sa chaleur de cannelle, elle lui permettrait de se glisser en moi pour caresser mon cœur, qui redeviendrait rouge à coups de langue.

saofi oksanen baby janeL’auteure Sofi Oksanen aime ces personnages féminins dont la force de caractère jongle avec les fêlures du corps et de l’esprit. La passion entre les deux femmes de ce roman a cette force inéluctable d’attirance des êtres violemment jaloux.

Le style de l’auteur, franc et direct, convient parfaitement à l’univers du roman et cette remarquable histoire d’amour est rythmée par la retranscription d’une bande-son de qualité, tendance cold : Madonna, Courtney Love, Marc Almond, Joy division, The cure et Marianne Faithfull.

Baby Jane Sofi Oksanen, Stock, Collection: La cosmopolite, mai 2014, 252 pages, 20 €

 

Sofi Oksanen est née en Finlande en 1977, d’une mère estonienne et d’un père finlandais. Elle est devenue en trois romans et quelques pièces de théâtre un personnage incontournable de la scène littéraire finlandaise. Purge a marqué la consécration de l’auteur, qui a reçu en 2008 l’ensemble des prix littéraires du pays, mais le roman a également enrichi le débat historiographique sur cette période de l’occupation soviétique. Elle a reçu en 2010 plusieurs prix littéraires en France : le prix Femina ainsi que le prix Fnac. Elle a également été récompensée par le prix du roman européen et le prix des lecteurs du Livre de Poche en 2012.
Depuis 2010, ont paru en France le premier roman de l’auteur Les vaches de Staline (Stock 2011), Quand les colombes disparurent (Stock 2013) et ici son second roman, Baby Jane (Stock 2014).

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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