Jeudi 11 janvier 2012, à Rennes, certains des riverains du quartier Pré Perché étaient conviés à une réunion d’information. Organisée par le Crédit Agricole, elle visait à répondre aux inquiétudes que suscite un projet qui fait débat depuis quatre ans. Le public est venu en nombre assister une réunion qui a duré trois heures. Il en est sorti pas du tout rassuré. Doit-on en conclure qu’à Rennes, avec le Crédit Agricole, le mauvais sens a de l’avenir ?

 

Le parcours du combattant

Tout a débuté il y a cinq ans quand deux habitantes des rues Chicogné et Pré Perché ont découvert qu’une enquête publique était en cours dans le cadre de la restructuration à venir de l’ancien siège régional du Crédit Agricole aujourd’hui installé à la Courrouze. Dès lors a commencé ce chemin de croix que connait tout pot de terre qui ose ne pas se plier aux exigences du pot de fer.

C’est sur la pression attentive d’Hubert Chardonnet que les futurs dirigeants des associations de défense du Pré Perché ont pu obtenir une rencontre avec un responsable du Crédit Agricole. L’architecte bien-aimé de la mairie de Rennes, Jean-François Golhen, a exposé à cette occasion un projet architectural indigent qui reposait sur des tours rectangulaires destinés à accueillir 300 logements. La déception fut grande. De son côté, Hubert Chardonnet a réclamé au Crédit Agricole une étude d’ensoleillement au vu des hauteurs vertigineuses retenues (10 étages plus 2 étages en retrait : R+10+2A).

Après plusieurs mois passés et une sévère dégradation des relations entre l’association de riverains et le successeur d’Hubert Chardonnet au poste d’élu en charge de l’urbanisme, Frédéric Bourcier, une réunion publique a été organisée par le CA en son siège fin 2009. Une foule d’environ 300 personnes s’est pressée pour assister à une nouvelle présentation du projet par Jean-François Golhen. La déception du public s’est muée en colère (tandis qu’un traiteur haletant s’empressait de ranger fissa le cocktail de célébration prévue par le CA dont le triomphe avortait). Trois points ont suscité l’agacement du public : la modification du projet initial s’est bornée à créneler le haut des barres d’immeubles, à passer de 300 logements à 380 (et autant de places de garage) et la maquette en 3D à simuler l’ensoleillement à la date du… 21 juin.

Les mois suivants, les membres des associations de riverains hésitaient à croire les affirmations des responsables du CA selon lesquelles le projet était en suspens en raison de la crise économique. Ils firent bien de ne pas prendre pour argent comptant la parole de la banque agricole : ils ont découvert sur internet des fuites du projet qui montraient que ce dernier avançait au contraire à grands pas suite au lancement d’un concours… (Les visuels présentés sur ce site semblent très proches de l’état actuel du projet retenu.)

Au vu de ces procédés des plus déloyaux, Danièle Novello, bien connue pour son amabilité et sa contribution à la vie de la Mairie de Rennes au côté d’Edmond Hervé durant 30 ans, a adressé des demandes de rendez-vous à Daniel Delaveau et Frédéric Bourcier, notamment en recommandé. Elles sont restées lettre morte. Pourquoi une telle conduite irrespectueuse ? Entre autres raisons, il peut être utile de souligner que la Ville est le promoteur d’environ un quart du projet du Pré Perché par l’intermédiaire d’Archipel Habitat. Si la promotion est assurée par le CA, la mairie entend valoriser au maximum son futur bien. D’autant plus qu’elle a consenti au CA une importante ristourne sur le prix d’achat du terrain de la Courrouze…

Une réunion publique d’information réservée à quelques invités (sur invitation papier ou carton selon les rues)

Cette rétention d’information et ce jeu de dupes se sont prolongés jeudi soir dans toute leur étendue. À l’hôtel Mercure étaient présents le responsable du Crédit Agricole en la personne d’Alain Laplanche, président de la SA immobilière du Pré Perché, deux représentants d’Archipel Habitat, quelques architectes et Frédéric Bourcier.

La présentation du projet a été opérée par une coach-médiatrice-consultante tout acquise à un projet dont elle semblait ignorer les tenants et aboutissants. En termes de chiffre, le complexe immobilier du Pré Perché comprendra 356 logements (dont 60% de T3 et plus), 380 places de stationnement en sous-sol, 1400m2 de commerces (répartis en 7 cellules). Le dépôt du permis de construire est prévu dans quelques semaines et la construction est censée être achevée à la fin… 2015. (4 ans, c’est bien long, surtout pour des riverains qui sont déjà au bord de la crise de nerfs en raison du bruit, de la poussière, des émanations, des grilles laissées renversées sur la rue et des poteaux qui empêchent la circulation des piétons – le tout sans que jamais le CA ni le cabinet Lamotte, qui construit un immeuble contigu au complexe, n’aient exprimé la moindre excuse pour la gêne occasionnée.)

À la suite, quatre architectes ont présenté succinctement leur projet, l’un d’eux étant Jean-François Golhen – dont la maîtrise initiale s’est vue amplement rognée suite au déboire de son premier tracé. Les riverains ont pu constater que la nouvelle version présentait de notables avancées en matière architecturale et esthétique. Mais on partait de si loin… Qui plus est, loin d’une présentation en maquette, seuls quelques angles et façades de l’ensemble du complexe immobilier ont été choisies pour être montrés. C’est bien regrettable. Au demeurant, les appréciations recueillies auprès du public montrent que l’immeuble situé boulevard de la Liberté à sa faveur tandis que la géométrie brute, voire brutale, de Jean-François Golhen a l’heur de déplaire.

Enfin, voilà que la très attendue maquette d’ensoleillement est annoncée. Enfin… Hélas, au lieu de la maquette 3D réclamée depuis 4 ans et promise par le CA encore quelques jours avant la réunion, de simples graphiques sont présentés : des façades d’immeubles posés dans le vide. Impossible donc pour le public de se faire une vue d’ensemble. Le Crédit Agricole aura réussi jusqu’au bout à cacher cette étude et ses conséquences fâcheuses, dont l’enténébrement propice à l’insalubrité de plusieurs immeubles, notamment rue Chicogné.

Bien sûr, le public s’en est ému et votre serviteur a demandé à connaître la raison de cette absence de maquette en 3D. La réponse donnée par l’agence stipendiée par le CA et qui n’en menait pas large a eu le mérite de fait rire le public : l’impossibilité technique de projeter sur un écran une simulation en 3D ! Ou ladite agence ne possède que des ordinateurs Atari datant des années 80 ou la malhonnêteté atteint son comble.

Un refus affiché de répondre aux questions légitimes des Rennais

C’est dans une ambiance tendue que le débat a dès lors débuté. Le public n’a pas caché son indignation devant le fait d’être ainsi mené en bateau. La liste de griefs est longue : notamment, la hauteur vertigineuse de certains immeubles (neuf ou dix étages plus deux étages en retrait), des visuels présentés par le CA habilement mais sûrement orientés (perspective, largeur de rue, orientation du soleil), absence de maquette physique du projet et de simulation en 3D de l’ensoleillement, etc.

Quant à la question relative à l’étroitesse de la rue Chicogné – appelée à connaître la circulation de plus de 400 automobiles supplémentaires et autant de bicyclettes – elles ont connu deux réponses à valeur d’engagement… La première, formulée par le président de la SA du Pré Perché, a assuré au public que la circulation dans cette rue et dans le boulevard de la Liberté s’en trouvera améliorée… La seconde, émise par Frédéric Bourcier, a consisté dans une longue digression qui n’a aucunement répondu à la question mais assuré que la mairie de Rennes avait tout prévu… Ces deux promesses ont rappelé à qui voulait l’entendre qu’à Rennes, en matière d’urbanisme, la concertation a toujours lieu en aval des projets. Quand elle a lieu.

Autre point qu’a préféré éluder les responsables du CA et de la municipalité : l’augmentation du taux de pollution boulevard de la Liberté, lequel atteint pourtant déjà des records dans la villle.

Il en est allé de même de l’allée qui longera le square du Pré Perché en direction de la rue du Puits Mauger. De fait, elle se termine actuellement en goulet d’étranglement à partir de la rue Thiers. Là encore, l’élu a eu une comme toute réponse : la mairie de Rennes s’occupera de tout en temps voulu. Certains ont pu se demander à quoi sert une réunion d’information où l’information ne peut être délivrée…

Quelques hypothèses pour percer le flou entretenu par le CA et la mairie

Cette stratégie de désinformation était destinée à soutirer l’assentiment des riverains présents – ces habitants du quartier de tout âge et de classe sociale souvent modeste que Frédéric Bourcier ne craint pas de surnommer les « privilégiés du centre-ville ». Unidivers a élaboré quelques hypothèses en lieu des réponses que la banque promotrice, Archipel Habitat et l’élu rennais se refusent à donner pour l’instant et réservent à une date ultérieure. Autrement dit une fois la construction livrée, devant le fait accompli.

Considérons la rue Chicogné. Elle présente une largeur de quelque 10m. Il est impossible de faire coexister une voie carrossable à double sens, une rangée cyclable à double sens, une ligne de stationnement automobile (utilisée par les actuels habitants), deux trottoirs destinés à recevoir un public nombreux (riverains, scolaires, badauds et chalands), l’entrée et la sortie de deux garages souterrains. À quel tour de magie la municipalité va-t-elle recourir ? Aucun, car il existe bien une solution. Elle consiste à supprimer la ligne de stationnement automobile.

Pourtant, cette dernière est présente sur les plans du complexe immobilier. Mais comment peut-on avoir confiance en un plan où le soleil se trouve rayonné à partir… du nord ? À notre avis, c’est une des solutions qu’ont retenues les services de Frédéric Bourcier et qu’ils comptent mettre en pratique après coup. Cela expliquerait le refus de l’élu de s’exprimer pour l’instant. Pour que les riverains ne s’indignent pas devant une opération qui consiste à les déshabiller au profit des futurs propriétaires de l’îlot Pré Perché : on retire les places de stationnement aux premiers pour offrir des garages aux seconds.

Bien sûr, une telle opération valoriserait le prix du m2 des appartement du CA et d’Archipel Habitat au détriment de celui des appartements environnants. Par ailleurs, et d’une manière générale, cette augmentation du flux automobile contredit le Grenelle de l’environnement et la transition vers une ville de moins en moins engorgée et polluée. Pourquoi la Mairie n’a-t-elle pas le courage d’interdire tout simplement la construction de garages dans ces nouvelles constructions situées boulevard de la Liberté ? Ne serait-ce pas aller dans le sens de l’intérêt général ?

Tournons-nous à présent vers la rue marchande qui longe le square. Elle débouche dans la rue Thiers pour emprunter un passage d’environ 2 mètres qui donne dans la rue du Puits Mauger. Il est impossible de faire transiter un grand nombre de piétons par ce passage. Ce goulet d’étranglement obère la circulation vers et en provenance de la future rue marchande. Là encore, il n’y a pas de solution. Ah si, il y en a bien une : rogner sur l’école Louise Michel ! Mais serait-ce cohérent avec l’arrivée de 1000 nouveaux habitants dans le complexe du Pré Perché, dont des dizaines d’enfants ?

Après la minéralisation de la ville, une révégétalisation réservée…

Que dire de plus ? Si ce n’est que cette réunion a rappelé que les Rennais n’ont pas leur mot à dire. Dans notre bonne ville, l’intérêt supérieur de certains élus, des banques et des promoteurs immobiliers prévaut sur tout autre considération. Résultat : les riverains sont de plus en plus dépossédés de leur ville, dans le centre-ville comme dans les autres quartiers – Alma notamment, mais la liste est longue.

Allez, pour finir, un dernier point. Alain Laplanche et Frédéric Bourcier se sont gargarisés de l’extraordinaire végétalisation de ces deux constructions flanquées de superbes jardins. De fait, dans une ville qui s’est minéralisée depuis vingt ans, on ne peut que s’en réjouir. Malheureusement, ces jardins sont situés à l’intérieur des deux corps d’immeuble. Les seuls habitants à en profiter seront ainsi les heureux propriétaires ou locataires d’un appartement dont le prix sera pondéré par cet agrément. D’où l’idée citoyenne que suggère Unidivers : pourquoi ne pas ouvrir ce demi-hectare de jardins pour les offrir à tous (confère nos deux suggestions: 1 & 2) ?

Pourquoi ne pas en faire profiter tous les Rennais, notamment les riverains, les salariés de la cité judiciaire, de Colombia, les assistantes maternelles nombreuses dans le quartier ou, encore, les enfants et enseignants de l’école Louise Michel ? Il est bien regrettable que le CA et la Ville refusent de concilier leur plus-value immobilière et le bien-être de leurs concitoyens.

Voilà comment Unidivers imagine l’ilot du Pré Perché autrement, c’est-à-dire dans l’intérêt général, avec des jardins ouverts à tous :

 

Crédit agricole à Rennes : une plus-value immobilière au détriment du bien-être général

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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