Le groupe rennais ATOEM est un duo de machinistes dont les explorations sonores plongent dans un océan de symphonies analogiques et spatiales. L’enfant ATOEM naît dans le cosmos rennais. Il est le fruit d’une union charnelle entre Brian Eno et les Floyds, sous l’aura d’une techno perçante. Ses deux astronautes, Antoine Talon et Gabriel Renault, ont ouvert à Unidivers les portes de leur fusée…

Unidivers : Depuis deux ans vous avez bâti un univers artistique bien particulier : deux EPs, Ruins (2017) et Voltage Controlled Time (2018), dont les titres oscillent entre références à la science et au mythique, des visuels et des clips à base d’ordinateurs ou de paysages spatiaux, vous êtes aussi passionnés d’astrophysique. L’idée de cosmos a-t-elle une place dans votre musique ?

Antoine Talon (ATOEM) : Le cosmos c’est une source d’inspiration infinie ! Même en étant très féru de science, on se rend compte qu’on n’en sait pas forcément beaucoup plus, d’où cette inspiration.

Gabriel Renault (ATOEM) : Les grands espaces, l’inconnu, le gouffre ont quelque chose de très mystérieux qui nous laisse rêveurs. Comme des gosses on se retrouve à regarder les étoiles, à réfléchir, à en discuter.

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ATOEM
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Ruins EP
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Blue

Unidivers : Commençons à décomposer l’ATOEM. Cela fait des années que vous faites de la musique ensemble. Mais vos parcours musicaux sont très différents l’un de l’autre, n’est-ce pas ?

Antoine Talon (ATOEM) : Pour ma part, je n’ai jamais suivi de formation musicale. Mon père m’a appris les rudiments de la guitare et j’ai continué à jouer, en autodidacte et passionné. Dès le départ, donc, ma vision de la musique était plus expérimentale qu’académique. Ensuite, j’ai découvert les joies de la synthèse : synthétiseurs, boîtes à rythmes, etc. On a intégré des synthétiseurs dans un de mes premiers groupes de rock. À partir de quinze ans, j’ai eu envie d’en fabriquer moi-même. Étant jeune, je voulais devenir guitariste, ou, si ça ne marchait pas, luthier. Quand j’ai découvert les machines, j’ai alors envisagé de faire de la lutherie électronique. J’ai fait des recherches qui m’ont permis de comprendre en profondeur les différents composants électroniques, en faisant toujours des parallèles avec la musique. Une chose en entraînant une autre, j’ai commencé à me construire mon propre matériel, à le réparer, à le modifier. Finalement, ma formation a davantage été scientifique que musicale. Je me suis intéressé aux mathématiques, à la physique. Une fois maîtrisés ces phénomènes, la technique du son paraît relativement simple.

Gabriel Renault (ATOEM) : De mon côté, je suis batteur percussionniste. J’ai étudié une dizaine d’années à la FLUME. J’ai suivi une formation académique qui m’a permis d’aborder de nombreuses facettes de la musique percussive : les percussions africaines, l’orchestre symphonique, les musiques actuelles. J’ai eu plusieurs projets avant ATOEM. Avec des amis de lycée, j’avais un groupe de hard rock et heavy metal. On faisait des reprises, puis des compositions. C’est à cette époque que j’ai rencontré Antoine et d’autres amis qui cherchaient un nouveau batteur. Ils sont venus me voir directement alors que je me préparais pour une répétition. On a commencé à partager des bières ensemble, des soirées, des influences communes, et puis on a commencé à jouer ensemble.

Unidivers : Justement, ces influences musicales, quelles sont-elles ? Vous évoquez souvent votre côté rock.

Gabriel Renault (ATOEM) : Oui, ce sont nos premières influences. Nos parents en écoutaient énormément, ils nous ont transmis ces références : Jimi Hendrix, les Doors, les Floyds, les Stones, Led Zeppelin. On ne peut pas renier cette composante originelle, au contraire, on la célèbre. Toute cette vague du rock psyché des années 1960-1970 nous influence beaucoup. Ensuite, il y a la vague New Wave : Depeche Mode, New Order, Moroder. Kraftwerk, surtout, qui mettent le synthétiseur au centre de leur œuvre. Ce sont ce genre d’artistes, ou encore des constructeurs, comme Robert Moog, qui nous ont donné envie d’enrichir notre formation avec des synthétiseurs. Le projet ATOEM s’est construit à partir de toutes ces influences et d’un paysage musical plus large : la disco, la synthpop, l’italo disco. Par exemple, on utilise beaucoup les arpégiateurs, ces suites de notes mises en boucle qu’on retrouve dans l’italo disco. Encore après, il y a la vague plus directement électronique : la techno, les artistes de Détroit (Jeff Mills, Kevin Saunderson, Derrick May) et le paysage électro en général. Plus récemment, il y a un groupe qu’on suit de très près : Weval. On adore leur travail, leur type de son. C’est de la musique électronique, mais avec des éléments organiques, un mélange qu’on aime bien.

Unidivers : Aux vues de vos influences larges et de cette idée de mélange, la notion de syncrétisme semble importante dans votre musique. Comment est-ce que vous définiriez votre style qui semble se placer à la croisée de différentes esthétiques musicales ? Qu’est-ce que vous cherchez à provoquer chez vos auditeurs ?

Gabriel Renault (ATOEM) : Les faire danser et planer surtout. On veut utiliser le temps du concert pour faire voyager le public. On est dans la même mouvance que la vague psychédélique des années 1970 dont on parlait. On ne veut pas massacrer le public avec un BPM [Beats Per Minutes] élevé, mais plutôt le faire décoller.

Antoine Talon (ATOEM) : On décrit souvent notre musique comme de la techno, mais on ne fait pas de techno pure. On reste souvent sur des rythmes assez naturels à 120 BPM, 125 à la fin. Au long du set, on essaie de raconter une histoire, on traverse plusieurs styles. Au début, on est plutôt dans de l’électronica avec une composante rock. Ensuite, on arrive sur une phase un peu dance, puis très planante. Enfin, on termine sur de l’acide. Mais toujours avec de l’organique derrière : de la voix, des percussions, de la guitare, en plus des nombreuses machines.

Gabriel Renault (ATOEM) : C’est ce côté organique qui apporte le groove et la chaleur à une musique qui peut apparaître très froide et répétitive au premier abord. Le mélange est important. On ne fait pas du rock avec des éléments électroniques, mais l’inverse, de la musique électronique teintée de rock.

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Guénolé Tréhorel – Photographie

Unidivers : Une fois que vous aviez esquissé votre ligne musicale, vous avez dû trouver un nom : ATOEM (prononcé atome), qui peut évoquer tout à la fois l’élémentarisme du vivant et la complexité de la science. Mais un mystère se cache dans ce nom, c’est le déplacement du E d’atome, qui forme une clé de compréhension cryptique. Que signifie donc ce nom pour vous, que dit-il de votre univers musical ?

Antoine Talon (ATOEM) : Notre nom cache beaucoup de nos références. D’abord, il y a une référence quasi directe à l’album Atom Heart Mother des Pink Floyd, dont on est de grands fans. Mais on a voulu l’écrire avec cette orthographe pour mentionner une autre de nos passions : l’égyptologie. ATOEM devrait se dire Atoum. C’est une des premières divinités égyptiennes, le démiurge. Il n’a pas créé le monde ex nihilo, mais il a façonné la matière. Des écrits disent que Atoum se mit à penser et qu’il advenu de lui-même, ce qu’on peut relier, par exemple, à la physique quantique, une de nos grandes passions aussi.

Gabriel Renault (ATOEM) : Ce qui nous intéresse ici, c’est l’idée de création. C’est ce qu’on fait aussi dans notre musique. Notamment grâce à notre synthétiseur modulaire qui permet une infinité de possibilités. On aime bien ce parallèle entre création de matière et génération de sons étranges qu’on intègre à notre musique.

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ATOEM Antoine Talon Gabriel Renault

Unidivers : Vous reliez donc la référence cosmogonique à un univers machinique proche de la science-fiction. Une ancienne description du groupe parlait de vous comme de « fils de la machine ». Pouvez-vous nous parler de votre rapport aux machines, plus précisément, à l’analogique ?

Gabriel Renault (ATOEM) : C’est presque du fétichisme en fait. On les collectionne, on scrute les nouvelles sorties, les prix des machines qu’on rêve d’avoir et qu’on ne peut pas encore se payer. Il y a toute une mode autour des machines analogiques, donc les prix sont délirants. Dans notre musique, l’analogique apporte l’aspect de performance, avec ses aléas. Le set est différent à chaque fois, bien qu’il suive une macro-partition.

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Ô, machines !

Unidivers : Vous avez aussi construit un synthétiseur modulaire, dont on ne sait s’il est un troisième membre de l’équipage ou bien le réacteur principal de la fusée ATOEM. Pouvez-vous nous expliquer quelle est la nature de cet instrument et ce qu’il apporte concrètement à votre musique ?

Antoine Talon (ATOEM) : Les synthétiseurs classiques ont leurs modules précâblés à l’intérieur. Dans un synthétiseur modulaire, les modules peuvent être patchés entre eux de différentes manières. Tout est à faire et à défaire. On utilise le principe de la synthèse soustractive, non pas chromatique, mais sonore. On part d’une source, d’un oscillateur qui va générer une onde généralement riche en harmoniques, des signaux sinusoïdaux, carrés, triangles, les ondes de bases donc. On va ensuite les appauvrir par filtrage, les moduler, les plier. Puis, on restitue cette onde électronique mécaniquement pour qu’elle arrive finalement à vos oreilles. Donc, c’est comme n’importe quel synthétiseur, sauf qu’on peut créer tout type de son avec. La création est plus flagrante.

Gabriel Renault (ATOEM) : Par rapport à notre musique, le synthétiseur modulaire apporte un côté spatial. À tout moment, on peut ajouter un effet ou une séquence aléatoire qui vont enrichir l’ensemble. Il faut savoir aussi que c’est un instrument qui peut parler tout seul. Des sons s’y autogénèrent constamment et on peut les moduler à l’infini, ce qui crée une esthétique sonore atypique.

Antoine Talon (ATOEM) : Il y a une esthétique visuelle aussi, c’est de la belle machine ! La première fois que j’en ai vu, j’ai pensé que c’était l’instrumentation de l’ISS, que c’était magnifique et que j’en voulais un ! En plus, maintenant on travaille avec un technicien lumière qui nous a proposé d’écarter les modules pour faire passer de la lumière derrière, ce qui permet de faire passer des faisceaux lumineux à travers les modules. C’est grandiose ! Il y a presque un côté religieux.

atoemUnidivers : Vous avez été rapidement repéré par un des programmateurs des Trans Musicales, et vous faites partie cette année des groupes accompagnés par le festival. Pouvez-vous nous parler de cette aventure ?

Gabriel Renault (ATOEM) : Oui, on a eu la chance d’être sélectionnés pour être accompagnés par l’ATM. On était fous ! On savait ce que ça représentait : un suivi personnalisé, la tournée des Trans, un apprentissage du métier de l’artiste avec des ateliers personnalisés sur la communication, la structuration légale de l’artiste, les moyens de vivre de sa musique. C’était un grand plaisir et une marque de confiance qui nous a touchés et nous encourage à vouloir continuer dans la musique.

Unidivers : Cette première étape vous fait envisager une suite de votre carrière artistique ?

Antoine Talon (ATOEM) : En ce moment on fait entre dix et quinze heures de musique par jour, on dort à peine. Non seulement on aimerait bien continuer à jouer, mais on aimerait aussi travailler pour le cinéma. Notre musique est très cinématographique. On pourrait sortir nous-mêmes des courts-métrages de science-fiction, ou travailler en collaboration, si on nous propose.

Unidivers : Vous êtes rennais d’origine, cette année, vous jouez pour la première fois aux Trans Musicales, à un chouette créneau et dans le plus grand hall, une réaction ?

Gabriel Renault (ATOEM) : On la chance d’avoir un spot comme ça. C’est excitant, mais aussi très effrayant. On n’a jamais joué sur une aussi grande scène, devant un tel public. On assiste aux Trans depuis dix ans, on sait comment est l’ambiance à cette heure, on a hâte de voir si on fait décoller un hall ! Mais oui c’est une consécration dont on rêve depuis qu’on est gosse. Quand on a commencé la musique, les Trans nous paraissaient inaccessibles. Petit à petit, quand on voit que ça marche, qu’on arrive à sortir des trucs nous-mêmes, que ça plaît, qu’on arrive à se faire repérer, ça prend une autre dimension. Le rêve se transforme en objectif. Et quand on vient toquer à notre porte et qu’on nous fait cette proposition, ça devient un projet qui se concrétise. C’est une consécration pour tout musicien rennais ou du Grand Ouest, pour tout musicien tout court.

Retrouvez ATOEM en concert durant le festival des Trans Musicales de Rennes, hall 9 du Parc des expositions, vendredi 7 à 4h20.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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