Des cartes, des dessins pour raconter Jean-Baptiste Poquelin, c’est le défi réussi de L’Atlas Molière qui nous montre de manière inédite, un auteur génial, mais aussi un remarquable entrepreneur. Formidable d’inventivité et d’accessibilité.

Jean Baptiste Poquelin, dit Molière, est né il y a quatre cents ans, en janvier 1621. Pour sa date de naissance, on ne dispose que du jour de son baptême et comme pour l’essentiel de son existence, les historiens n’ont que peu d’informations certifiées. Aucune lettre reçue ou envoyée par exemple. Aussi, les biographies de Molière ont-elles emprunté les chemins de récits tortueux, racontées selon les exigences de l’époque : pour Voltaire, Molière était un grand auteur issu du peuple, un « saltimbanque idiot » pour Pierre Louys écrivain de droite du début du 19e siècle, un artiste malmené et pauvre pour Ariane Mnouchkine, très loin de la réalité économique objective. Cet Atlas ne vous racontera donc pas un « vrai » Molière. Vous n’apprendrez rien sur sa vie sentimentale et amoureuse, sur ses phobies, ses envies, sur son caractère, domaines qui sont en l’état actuel des connaissances, du domaine du seul roman.

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Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622 – 1673)

Ce constat réalisé, les trois auteurs, universitaire, cartographe, infographiste, préfèrent s’appuyer sur des faits avérés et attestés, notamment sur les seuls 286 documents administratifs en notre possession, et le fameux registre comptable de La Grange, pour dresser le portrait non pas d’un homme, mais d’un publicitaire, d’un créateur, d’un administrateur, d’un formidable entrepreneur dans une période où le théâtre occupe un rôle important dans la société parisienne et provinciale.

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Portrait de Molière de Pierre Mignard (1658)

Un homme qui comme nul autre sut saisir la société, les attentes commerciales dans un univers culturel, où les femmes sont le centre, les livres primordiaux, où le pouvoir sous forme de mécénat et de protection s’avèrent indispensables. Quand la troupe de l’Illustre théâtre créée par l’exceptionnelle Madeleine Béjart entame en province une tournée de 13 ans (1645-1658), nous suivons non pas une compagnie poussant les chariots dans la boue, des contrats sont passés pour transporter des décors, mais les lieux de représentation, les pièces jouées, les acteurs recrutés, leurs cachets dans un pays marqué par les heurts politiques. Nous sommes dans les coulisses de la représentation avec ses répétitions, ses déplacements, son intendance, sa concurrence.

S’appuyant sur des recherches historiques universitaires de haut niveau, mais expliquées sobrement, c’est la vie d’une troupe qui est racontée sans oublier l’essentiel : la qualité et les thèmes retenus pour les pièces jouées, comédies ou tragédies. On comprend les sujets choisis par Molière qui cherchent à plaire au public, au roi et ne veut en aucune manière construire une grande œuvre. Les auteurs remettent les pièces de théâtre dans leur contexte sociétal, trop souvent oublié aujourd’hui. Molière apparait alors comme un gigantesque fabricant de puzzles qui saisit les envies dans l’air du temps, les assemble, comme le démontre parfaitement l’analyse de pièces telles Le Misanthrope, Tartuffe ou Les Femmes Savantes.

Cette approche historiquement scientifique s’appuie sur une tendance innovante actuelle de l’édition historique : l’infographie, dont nous vous avions vanté les mérites avec les ouvrages des éditions Passés-Composés. Atlas, le terme généralement appliqué en matière de géographie, mérite ici pleinement son utilisation : ce ne sont pas moins de 150 cartes et infographies qui expliquent, démontrent, justifient le texte. Plans de Paris, tableaux de transfert des acteurs de troupes en compagnies, affiches publicitaires, les illustrations disent tout comme un arbre généalogique explique plus facilement une famille qu’une description mot à mot. Loin d’être un gadget l’infographie, pareillement utilisé, devient un instrument d’un partage de savoir facilité.

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Nicolas Poussin, La Troupe de Molière

À cette vulgarisation de qualité s’ajoute un ingrédient agréable : l’humour sous forme notamment d’anachronismes, comme celui symbolisant une pièce de théâtre en emojis ou en appliquant aux méthodes publicitaires de Molière les mots des réseaux sociaux. Raconter le passé avec les mots d’aujourd’hui. Les Précieuses Ridicules, première grande réussite de Molière devient ainsi un « premier blockbuster » dont on nous démontre les raisons du succès gigantesque de l’époque et sa modernité actuelle par des graphiques éclairants. Jamais le principe « un dessin vaut mieux qu’un long discours » n’a autant été justifié et en refermant l’ouvrage, le lecteur garde le sentiment de voir s’esquisser la silhouette d’un « autre » Molière, vivant dans son temps au-delà des images romancées : un expert de l’exploitation des problématiques de société, un grand entrepreneur de théâtre. Pourtant un mystère demeure : comment ces situations et problématiques d’une décennie sont elles quatre cents ans plus tard encore pertinentes ? Probablement le mystère du génie qu’aucun livre ne pourra jamais dévoiler.

L’Atlas Molière de Clara Dealberto, Jules Grandin et Christophe Schuwey. Editions Les Arènes. 270 pages. 24,90€. Parution : 13 janvier 2022.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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