Le festival Astropolis célébrait sa 25e édition du 3 au 7 juillet 2019. Précurseur des musiques électroniques en France, fervent défenseur d’une culture musicale libérée, le festival brestois continue après 25 ans de rave à lier exigence artistique et sens de la fête. Gildas Rioualen, membre du Sonic Crew et co-fondateur d’Astropolis revient avec Unidivers sur une aventure culturelle qui n’a pas fini de nous faire raver !

Bienvenue à Keroual, il est grand temps de raver ! © Minuit du Matin

Il ne sortait pas de nulle part mon rêve… Et il existe bel et bien mon havre de la rave !

[…]

Pendant trois jours nous y réapprendrons à nous perdre, nous retrouverons l’envie d’être surpris, la joie d’être chahutés, transportés, retournés, le plaisir de la danse et le frisson de la tranSe…

CAPTAIN – RADIO NOVA

ÉDITO DE LA 25E ÉDITION

UNIDIVERS – Une exposition rétrospective intitulée Before techno was pop !, visible chez votre disquaire préféré Badseeds jusqu’à fin septembre, a accompagné la 25e édition d’Astropolis. Qu’est-ce que ça fait de se retourner sur plus de 25 ans de rave et d’organisation d’événements ?

Astropolis 25 Astropolis 25

GILDAS RIOUALEN – Je n’ai pas vu les années passer ! On a commencé à organiser des concerts de pop, rock et chansons (Miossec, The Divine Comedy, Philippe Katerine, Boo Radleys, Moose, Dominique A…) alors que nous étions étudiants en IUT GEA à Brest au début des années 90 . Une bande de copains, tous passionnés de musique, qui souhaitaient aussi proposer une programmation actuelle aux Brestois.

À cette époque, il fallait se déplacer à L’Olympic à Nantes, à l’Ubu ou à la Cité à Rennes pour écouter les groupes que nous aimions. Nous étions très branchés Inrockuptibles et Bernard Lenoir nous éduquait quotidiennement sur France Inter. Il n’y avait pas de salles de concerts à Brest. Nous mettions en place nos projets sous la mairie, dans sa « salle des conférences ». C’était assez rock’n’roll ! L’acoustique était horrible et il fallait tout aménager.

Puis, un jour Charles Musy, propriétaire du Vauban, nous a ouvert ses portes. On lui sera toujours reconnaissant. C’est un très grand passionné de musique lui aussi, et il nous a toujours soutenu et accompagné dans nos projets, même les plus fous.

Astropolis 25
Traditionnellement, le Vauban accueille un point info du festival animé par des collectifs le temps du weekend.
Astropolis 25
Et le dimanche soir, place à l’after ! Ou, comme les appelle Charles Musy avec bienveillance, « les soirées boum boum ».

UNIDIVERS – Né en 1994, Astropolis est le premier festival de musiques électroniques en France, qui a d’abord pris la forme d’une rave party. À l’époque, qu’est-ce qui vous a décidé à vous éloigner des concerts pop rock que vous organisiez auparavant ?

GILDAS RIOUALEN – Nous étions gourmands (et nous le sommes toujours) de musique, de découvertes, de nouveautés. Nous avions entendu parler de cette musique « techno » dans les médias (Libération, Actuel…). À l’époque, des raves avaient lieux tous les week ends en Angleterre ou en Allemagne et les clubs comme l’Hacienda (nous étions fans de la scène de Manchester) ou le Trésor à Berlin, rassemblaient des milliers de personnes. On entendait parlé de quelques soirées clandestines à Paris, mais nous ne faisions pas partie de ces réseaux souvent fermés.

Notre toute première soirée fut « Rave O Trans » dans le cadre des Transmusicales de Rennes en 1992. On aimait déjà beaucoup faire la fête, mais ça a été un véritable électrochoc ! Le public, cette communion, cette possibilité de pouvoir danser jusqu’au bout de la nuit dans un lieu décoré et illuminé de manière complètement différente, cette nouvelle musique (critiquée et incomprise par une grosse majorité), cette folie collective, cette quête d’excitation et de nouveautés…

Astropolis 25

Tout ceci nous a immédiatement motivé et ça a certainement bouleversé notre vie. Néanmoins, même si nous nous sommes mis à organiser des raves (dans des gîtes, châteaux, plages, clairières, forts…) et nous à déplacer un peu partout en Europe en quête de BPM, nous n’avons jamais oublié nos racines et nos origines pop rock… Mais c’est vrai que nous nous éclations davantage à organiser une rave plutôt qu’un concert.

Au tout début, le Grand Ouest rassemblait une communauté de 1500 ravers. Nous avons essayé de créer des passerelles entre le public pop/rock et le public rave en organisant des soirées « After Pop is TeKno » mais ça n’a pas du tout fonctionné !

UNIDIVERS – Après 25 ans d’existence, Astropolis est devenu une institution dans le champ des musiques électroniques français ainsi que dans le paysage culturel brestois, est-ce que cela vous arrive de regretter l’underground ?

GILDAS RIOUALEN – Je me considère toujours underground. Ce mot peut se définir de manières tellement différentes. Pour moi, l’underground, c’est avant tout un état d’esprit, une liberté. Même si Astropolis n’est pas une fête clandestine, je ne me suis jamais senti obligé ou forcé de prendre un cap pour lequel je n’adhère pas. Beaucoup de ravers nous ont critiqué lorsque nous avons décidé d’aller frapper aux portes des institutionnels (mairie, préfectures, ministère de la Culture et ministère de l’Intérieur) dès 1996.

Finalement, nous avons milité et bataillé avec beaucoup d’autres pour la reconnaissance de cette musique. On y croyait fortement et on ne voulait rien lâcher face aux pressions des autorités. Tout le monde croyait que c’était un courant musical éphémère, un phénomène de mode. Personne n’imaginait que cela allait devenir une révolution musicale, une culture.

Astropolis 25
Manoir de Keroual © Julia Allio

Aujourd’hui, Astropolis s’est développé et propose un véritable projet culturel reconnu et soutenu par la ville de Brest, le conseil général, la région Bretagne, la DRAC… Nous défendons les mêmes valeurs qu’au début. Nous accomplissons un travail de fourmis en accompagnant cette musique depuis le début des années 90. Nous n’avons jamais pris les chemins de la facilité et revendiquerons toujours l’underground.

UNIDIVERS – Au cours de ces années d’activité, Astropolis a noué un certain nombre de partenariats avec les institutions culturelles de Brest, par exemple la salle de musiques actuelles La Carène, pour l’ouverture de laquelle vous aviez milité, et avec qui vous co-produisez un certain nombre d’événements à l’année ou pendant le temps fort du festival, ou encore avec le centre d’art contemporain Passerelle, le cabaret Vauban, et plus récemment l’Atelier des capucins. Selon vous, le festival Astropolis a-t-il eu un rôle dans le dynamisme urbain et culturel que connaît Brest aujourd’hui ?

GILDAS RIOUALEN – C’est avant tout un véritable plaisir partagé de travailler avec tous ces partenaires. Une volonté forte et collective et qui participe bien entendu au dynamisme urbain et culturel de Brest. On peut aussi citer le Mac Orlan, la scène nationale Le Quartz, des maisons de quartiers (Saint-Pierre, Europe, Lambézellec, Saint-Marc…), des écoles, des structures accompagnatrices de public en situation de handicap…

Toutes ces actions sont très enrichissantes. Les cultures et les publics se croisent. Il y a une véritable envie ! Des projets nouveaux et excitants naissent. Cela démontre aussi que la musique électronique est aujourd’hui reconnue par la société, que chaque structure, aussi diverse soit-elle, y trouve un véritable intérêt et plaisir à travailler ensemble. Brest se situe à la pointe du Finistère, au bout de la ligne de chemin de fer… Après Brest, c’est l’océan qui pointe son horizon. C’est très naturellement que nous nous associons dans des projets communs ou collectifs.

UNIDIVERS – Cette année, les Nantais d’Abstrack s’emparaient du square Alphonse Juin, les Rennais de ÖND proposaient un événement riche à Passerelle, les Brestois de Radio Lune animaient le mix’n’boules place Guérin en compagnie des Rennais de Comme ça, tandis que la « Kemperlé communauteuf » (ECHAP, MOTIF, NUMÉRO CENT SIX) se réunissait au Vauban. Astropolis chercherait à fédérer les acteurs des musiques électroniques de l’Ouest davantage qu’à remplir une jauge ?

GILDAS RIOUALEN – Fédérer et réunir des collectifs fait parti de notre projet culturel. On l’a toujours fait ! On a toujours soutenu la scène régionale par le biais de notre tremplin auquel on dédie désormais une scène lors de la nuit de clôture au Manoir de Keroual, ou en accueillant ou mettant en avant des collectifs.

Rien qu’à l’échelle locale, Brest rassemble aujourd’hui une vingtaine de collectifs aux identités musicales assez différentes. C’est une énergie saine et tellement motivante ! C’est un véritable plaisir de laisser carte blanche à certains collectifs. Nous les accompagnons comme nous pouvons. Il y a presque 30 ans, Astropolis est né de la même énergie que ces associations. Nous avons la chance aujourd’hui d’être sur un territoire qui réunit énormément de structures associatives, d’acteurs passionnés, motivés, dynamiques. C’est une véritable force pour le futur de notre culture ! Aussi importante et certainement plus intéressante que la nécessité de remplir une jauge.

Beau Rivage, Earl Nest

Earl Nest, un des gagnants du tremplin 2019 compose ce morceau en mémoire de son passage sur la scène de Beau Rivage. (King of the Bamboos EP, à paraître prochainement)

UNIDIVERS – Le rayonnement d’Astropolis dépasse le cadre local, puisqu’un des événements du festival, le samedi après-midi à Beau Rivage, est organisé depuis 2013 avec les Piknic Electronik de Montréal. Quel est selon vous l’intérêt d’un partenariat international de la sorte ?

GILDAS RIOUALEN – Ce sont des rencontres qui permettent de créer de belles connexions. Des échanges se mettent en place, des projets voient le jour. Nous accueillons des artistes ou des coups de cœur du festival québécois et ils font de même sur leur continent. De plus, cela nous permet aussi de découvrir comment s’organise un festival sur un autre continent, la place des musiques électroniques là-bas, les tendances, comment s’organisent le développement et l’accompagnement artistique, le statut de l’artiste … Ces trois dernières années, nous avons également pu créer un échange avec la Nouvelle Calédonie et son festival Les Chemins Sonores. Ces partenariats internationaux sont enrichissants à tous points de vue.

L’artiste australienne Roza Terenzi était l’invitée de Piknic Electronik le samedi 6 juillet à Beau Rivage.

UNIDIVERS – La programmation d’Astropolis oscillait cette année encore entre têtes d’affiche, familiers du festival, artistes en développement et scène locale. Au bout de 25 éditions, avez-vous défini une méthode particulière pour constituer vos programmations ? Y avait-il un fil conducteur dans la programmation de cette 25e édition ?

GILDAS RIOUALEN – Dès la première édition, nous avons fait le choix de la diversité musicale. À Astropolis, tous le genres et les styles de musique électronique se croisent. Du coup, les publics aussi, et ils se mélangent. Cela créé de belles rencontres et de beaux débats.

Favorisons les différences, soyons curieux ET ouvert d’esprit. ne nous renfermons pas dans des niches !

Notre programmation regroupe nos cous de cœur du moment, des pionniers, des artistes qui ont eu de l’actualité durant l’année, des artistes en développement, des résidents qui font partie de la famille et en effet, nous mettons un très gros coup de projecteur sur la scène du Grand Ouest en invitant les collectifs ou artistes reconnus, de demain ou de passage. Rares sont les artistes que nous programmons suite au démarchage d’une agence de booking.

Notre volonté pour cette 25e édition était de donner la priorité aux lives : X102 avec Jeff Mills et Mike Banks, Arnaud Rebotini et son orchestre philharmonique (Don Van Club), Apparat, Max Cooper, Oktober Lieber, Micropoint, Marc Romboy…). Aujourd’hui, tout le monde a la possibilité d’écouter de bons DJs dans sa ville tous les week ends. Chaque grande ville possède son club ou des collectifs qui organisent des fêtes légales ou clandestines. Les lives se font rares car ils sont désormais de plus en plus souvent accompagnés de scénographie très lourde ou nécessitent une technique exigeante.


UNIDIVERS – 
Les amateurs bretons de musique électronique ont eu le plaisir de reconnaître Blutch en closing surprise de la Cour après Denis Sulta. Il avait été révélé lors de la 20e édition du festival en 2014, et fait désormais partie de la famille Astropolis. Pouvez-vous nous parler de l’activité d’aide au développement artistique que vous menez avec Astropolis Records ?

Astropolis 25
Blutch (vauche) & Denis Sulta (droite), scène de la Cour, au petit jour, « le meilleur moment d’Astro, à ne rater sous aucun prétexte », selon plusieurs festivaliers avertis © Julia Allio

GILDAS RIOUALEN – En 2012, nous avons avons créé le label Astropolis Records. De là est né l’agence de booking qui rassemble The Driver, Madben, Electric Ressue, Maxime Dangles, le projet Möd3rn ou W.LV.S, Kmyle, Blutch… Des artistes que nous accompagnons et développons.

La première signature du label fut Madben. Nous l’avons développé et accompagné. Nous avons produit son premier album sur le label l’année dernière après deux EP’s sortis en 2012 et 2016. Aujourd’hui il a la chance de pouvoir vivre de sa musique, de sa passion.


Développer un artiste est un gros chantier, souvent très difficile. Des milliers de morceaux de musique électro sortent désormais chaque semaine sur les plateformes de téléchargement. C’est une véritable jungle. Plusieurs de ces compositeurs souhaiteraient en faire leur métier. Cette mission fait désormais parti de notre projet culturel. Avec les différents partenaires et structures avec qui nous avons pu construire des réseaux, avec notre expérience acquise au cours de ces années passées, l’activité de développement et d’accompagnement devenait une évidence.

Un festival doit aujourd’hui diversifier ses activités et ne pas se limiter uniquement à la diffusion. Nous organisons depuis plusieurs années un tremplin. Celui-ci nous permet de découvrir de nouveaux artistes. Blutch a été un véritable cou de cœur en 2014. Depuis nous travaillons ensemble et un album va voir le jour en 2020. Cette activité au sein de l’association s’est beaucoup structurée au cours de ces dernières années. La Carène et d’autres partenaires comme le conseil général, la région Bretagne, le CNV (Centre national de la chanson, des variétés et du jazz), le FCM  (Fonds pour la Création Musicale) ou d’autres SMAC (Echonova, MAPL…) participent aussi pleinement.

Sorti sur l’excellent label rennais Dance Around 88 en novembre 2017.

 UNIDIVERS – Astropolis est fondé depuis ses débuts sur l’idée d’une « fête parfaite autour des musiques électroniques » (site internet). Quels ont été les ingrédients de cette fête parfaite dans l’organisation de la 25e édition du festival ? Et quel bilan tirez-vous maintenant l’événement passé ?

GILDAS RIOUALEN – Fête parfaite, c’est beaucoup dire ! On fait de notre mieux pour proposer une belle fête, c’est certain! Notre objectif étant toujours de donner du plaisir à notre public !

La tête d’affiche de cette 25e édition fut le soleil ! Un ingrédient important et incontrôlable. Il n’a pas toujours été à l’honneur durant ces 25 années. Ensuite notre public ! Fêtard, éclectique, motivé, curieux, qui rassemble plusieurs générations.

C’est vrai qu’on nous a tellement rappelé qu’Astropolis franchissait son quart de siècle que toute cette adrénaline nous a mis une véritable pression, presque aussi forte que celle des 20 ans ! Nous avons proposé en collaboration avec la Carène un nouveau format en ouvrant les portes de Keroual le vendredi soir. Le festival démarrait aussi cette année dès le mercredi midi avec un live de Laake aux Capucins, une Astro Family pour les enfants sur la place de la Liberté.

Nous avons davantage programmé de lives que les autres années, le plus exceptionnel étant la reformation du projet X102 avec Mike Banks et Jeff Mills. Ces deux artistes qui font partie de notre histoire et de nos racines, qui nous ont forgé et dont nous sommes toujours très fans presque 30 ans plus tard. L’origine. Détroit.

Astropolis 25
X102 (Jeff Mills et Mad Mike), samedi 6 juillet, Manoir de Keroual © Julia Allio

https://www.youtube.com/watch?v=j5nLmRbtK-o

Nous avons aussi revu la disposition de notre site du Manoir de Keroual en mettant en place plusieurs zones de repos afin de chiller et prendre le temps de discuter, de se rencontrer, d’échanger, de se poser. Nous essayons chaque année d’améliorer l’accueil du public sur l’ensemble de nos sites.

Après 25 années, Il est essentiel de ne pas rester sur ses acquis, de continuer à évoluer. The show must go on.

UNIDIVERS – Merci Gildas, on vous retrouve avec Astropolis au Fort de Penfeld le samedi 7 septembre pour la soirée Fortress.

astropolis
Cet article s’inscrit dans une série dédiée à la vie culturelle brestoise, Un été à Brest :

BSIDE AIRLINES. VOL AU-DESSUS DE LA SCÈNE ÉLECTRO BRESTOISE 
LES ATELIERS DES CAPUCINS. UN NOUVEAU POUMON CULTUREL A BREST
BREST. UN AVENIR OUVERT À LA PLACE GUÉRIN
LIBRAIRIE DIALOGUES. UN HAVRE DE LIVRES AU CENTRE DE BREST
ASTROPOLIS 2019. GILDAS RÉVÈLE 25 ANS DE RAVE ÉVEILLÉ(E)

 

Brest
Jean Cocteau, L’Opium, 1930.

 

Article précédentLIBRAIRIE DIALOGUES. UN HAVRE DE LIVRES AU CENTRE DE BREST
Article suivant UNE PARTIE DE BADMINTON D’OLIVIER ADAM, SET GAGNANT
Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici