Jonathan Coe pointait du doigt le racisme latent du royaume désuni. Caleb Azumah Nelson nous l’a fait vivre intimement avec son héros, photographe d’origine ghanéenne dans Open water. Après un succès considérable en Angleterre, le premier roman de Natasha Brown paraît chez Grasset en ce début janvier. La jeune auteure noire britannique ajoute un témoignage poignant à la difficulté d’être une femme noire dans un monde où règnent sexisme, ultrablibéralisme et racisme.

Le personnage principal d’Assemblage est le symbole de la parfaite intégration. Jeune femme noire britannique, la narratrice vient d’obtenir une promotion dans le cabinet financier londonien où elle travaille. Son petit ami appartient à une grande famille progressiste purement anglaise. Quand elle donne des conférences dans les lycées, elle fait figure d’exemple.
Pourtant, cette assimilation ne s’est pas faite toute seule. Même si sa famille vit en Angleterre depuis plusieurs générations, aux yeux de tous, elle est caribéenne. Sa réussite, elle la doit à son mérite. Elle a dû travailler deux fois plus pendant ses années d’étude. Malgré cela, toujours et partout, les uns et les autres la réduisent à son genre et son identité. « Née ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant, jamais d’ici. »

Elle a tout pour être heureuse, diront certains. Bonne situation, bel appartement, argent, amour. Et pourtant, elle est malheureuse. Chacun s’arrête aux apparences, sans chercher à comprendre l’autre, à partager avec lui. La narratrice, elle, nous fait sentir intimement son appréhension permanente. Elle a tout fait pour entrer dans le moule, ne jamais faire de vagues. Mais alors que le médecin lui détecte un cancer du sein et l’enjoint de se soigner rapidement, elle baisse les bras. En parallèle de ce cancer social dont elle souffre, elle fait le choix de la mort. Être une victime ne doit pas être un choix. 

« Pourquoi vivre ? Pourquoi me soumettre davantage à leur regard si réducteur ? »

Dans la propriété familiale de son petit ami, alors que tous s’affairent à préparer la garden-party pour l’anniversaire de mariage des parents, la jeune femme s’isole dans le jardin. Ce jeune héritier l’aurait-il courtisée si elle ne s’était pas fait une place dans la société ? Elle sait que sa famille lui préfèrera toujours son ancienne petite amie issue de leur milieu. Aurait-elle eu cette promotion sans le désir actuel des entreprises à satisfaire davantage de diversité ? Dans ce milieu sexiste, elle est celle qui sert les cafés ou réserve les billets d’avion. Elle n’a jamais osé dénoncer les regards, les avances d’un chef qui abuse de son pouvoir.

Le milieu de l’entreprise est le reflet de la société d’un pays à la lourde histoire coloniale. Un passé que l’on cache sous le tapis, après avoir brûlé les dossiers compromettants. Après la guerre, l’empire britannique en déroute est allé chercher ses sujets coloniaux. Aujourd’hui, on leur impose de payer pour s’enregistrer.

« La Grande-Bretagne continue de posséder, d’exploiter et de tirer parti des terres saisies durant ses exploits du vingtième siècle. »

Dans ce court récit au style épuré, Natasha Brown nous fait vivre le basculement d’une jeune femme qui s’est battue pour essayer d’exister. Son cancer sonne la fin d’une assimilation à laquelle elle ne peut plus participer. C’est un choix violent, radical, difficile à comprendre. Mais il montre le degré de renoncement, de dégoût face au rejet de la société. Ce récit fragmenté est d’autant plus fort qu’il oppose la sagesse des pensées de la narratrice à la violence de son choix et de son environnement.

Il faut saluer l’excellente traduction de Jakuta Alikavazovic. Elle parvient à nous placer au plus près des émotions de la narratrice. Un premier roman d’une concision et d’une émotion marquantes.

Après des études de mathématiques à Cambridge University, Natasha Brown a travaillé pendant une dizaine d’années dans le secteur bancaire. Son premier roman, Assemblage, est encensé dès sa sortie par la critique et les libraires du Royaume-Uni, puis traduit dans le monde entier. Natasha Brown est aujourd’hui considérée comme le grand espoir des lettres britanniques.

Assemblage de Natasha Brown, paru le 11 janvier 2023 chez Grasset, traduit par Jakuta Alikavazovic. 160 pages. 17€, EAN : 9782246828235

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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