À Lorient, il n’y a pas que le Festival Interceltique. D’ailleurs, une fois terminé ce rendez-vous désormais rituel, que fait-on aux alentours du grand port breton ? On se dore sur les plages, on se promène culturel ? On se laisse gentiment guider par le guide ? Depuis 16 ans avec Art Chemin Faisant, l’Atelier d’Estienne, situé à Pont-Scorff à dix kilomètres de Lorient, propose un parcours ciblé et une expérience artistique décalée. Cet été, le public est invité à emprunter, dans l’espace cinglant du Rire, un parcours jaune… Une réussite servie par une vingtaine d’artistes contemporains. Focus sur l’un d’entre eux : Jean-Louis Costes, artiste pauvre et trash « par excellence ». Un exemple d’artiste français réellement libre et indépendant.

Unidivers : Jean-Louis Costes, alors que vous venez de réaliser une édition de votre roman Grand-Père dans un format rappelant les éditions des années 1900, vous investissez l’art contemporain avec une installation sur le thème du rire ? Grand écart artistique, appât du gain ou continuité ?

art chemin faisant
Le rire, un parcours jaune

Jean-Louis Costes : Ce n’est que la seconde fois que je réalise une installation. Mais, en concevant les décors de mes opéras, j’ai appris à gérer des grands espaces avec des objets, la lumière et le son. Comme pour l’une de mes chansons ou l’une de mes performances, le point de départ d’une de mes installations est une histoire. Le visiteur se déplace dans mon installation sur un chemin précis où il croise des personnages de carton assemblés en scènes successives qui racontent un drame de notre monde – Pour ce qui est de l’appât du gain, je gagne beaucoup plus d’argent à faire de la musique que des installations. Mais ça ne me dérangerait nullement de gagner des millions avec mon art. Ça ne changerait rien à mon mode de vie spartiate. Tout l’argent que je gagne étant réinvesti dans mes projets.

U : Pouvez-vous nous présenter votre installation ?

J.-L.C. : Dans cette installation de Lorient, dans le cadre de « Le rire, un parcours jaune », une foule de smileys qui rigolent de plus en plus hystériquement dans des flashs de stroboscopes attire le visiteur vers une explosion apocalyptique, puis une plaine silencieuse pleine de cadavres sanguinolents dans une fumée rouge. Et, seul survivant au fond de ce charnier, un politicien ricanant répète à l’infini « Ne vous en faites pas, tout finira bien, hé hé hé ! » C’est l’image de notre monde qui marche vers le précipice, mené par des cyniques.

Jean-Louis Costes
Jean-Louis Costes

Que mes installations représentent un aspect de notre monde de façon expressive, me différencie radicalement de la plupart des créateurs d’installation qui évitent soigneusement toute confrontation à notre réalité sensible, pour privilégier le « concept », c’est-à-dire un vague alibi intellectuel cherchant à masquer leur nullité. La plupart des installations sont nulles parce qu’évitant de représenter une réalité, par peur de contrarier les distributeurs de subventions. Quel est l’intérêt d’une installation qui montre une fourchette posée sur un parpaing ? Et surtout, quel est l’intérêt de donner de l’argent public au petit malin qui pond cette idiotie ?

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U : En quoi ce travail diffère-t-il de vos performances scéniques, par exemple de l’opéra que vous avez joué lors de votre dernière tournée au Japon ? 

J.-L.C. : Ce qui fait la grande différence entre mon installation et une de mes performances : dans le spectacle je m’implique  intensément moi-même avec mon corps dans l’instant. Alors que je ne suis pas à cette heure présent dans mon installation. La performance explose l’instant. L’installation gère le temps.

U : Autre grand écart, vous qu’on connaît pour vos textes réalistes, violents, crus et vos musiques éraillées, vous publiez un CD, « Kyriales », sur lequel vous interprétez à l’harmonium des mélodies grégoriennes… Nouvelle provocation ? Quel est votre rapport personnel à la musique sacrée et religieuse ? 

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J.-L.C. – Même dans mes albums les plus bruyants et braillants, on trouve toujours des bribes de mélodies rescapées au milieu des tempêtes de bruit. Je me suis toujours intéressé aux mélodies, qu’il s’agisse de pop musique ou de musique classique. Je cherche à exprimer des sentiments. La mélodie exprime la tristesse et l’amour, le bruit exprime la haine et la guerre.

L’album « Kyriales » est spécial, car la mélodie n’est jamais perturbée par le bruit. Il n’est donc pas représentatif de mon style fondé sur les contrastes sonores. Je l’ai enregistré, car je m’intéresse au rituel catholique ancien. Dans le chant grégorien, sous le texte chrétien, j’entends la mélopée des hommes préhistoriques accroupis autour du feu. Je joue ces mélodies à l’harmonium et je plonge instantanément dans le monde des ancêtres. Et ça me fait très plaisir de retrouver le vieux singe dont je descends. « Kyriales » est une machine jouissive à remonter le temps.

ART CHEMIN FAISANT
Rire Jaune
Du 22 juin au 21 septembre 2014
Centre culturel du pays de Lorient – Atelier d’Estiennes
1 rue Terrien – Pont-Scorff – 56620
02 97 32 42 13
du mardi au dimanche de 14h30 à 18h30
Pour retrouver l’univers et les oeuvres de Costes : http://eretic-art.com/

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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