Avec deux romans policiers Le Bourreau de Gaudi et Les Muselés qui vient de sortir en édition poche, Aro Sàinz de la Maza, est rentré dans le Gotha des écrivains espagnols. Son inspecteur Milo Malart est pour beaucoup dans son succès immense. Et Barcelone, une ville plus complexe qu’il n’y paraît.

LE BOURREAU DE GAUDI DE LA MAZA

Les amateurs de polars ont le choix. D’abord il y eut les romans d’Agatha Christie ou de Conan Doyle, ces intrigues diaboliques où il convient d’étudier chaque indice pour trouver le coupable. Il y eut le « Polar Français » de Manchette notamment. Et le polar social, celui de Daeninckx ou de Pouy. Et plus récemment celui des flics dont la personnalité prédomine. Ces policiers nous viennent fréquemment du nord de l’Europe : Harry Hole, Walander ou Erlendur ont des profils presque plus intéressants que les enquêtes qu’ils mènent. Du côté espagnol, Manuel Vasquez Montalban et son célèbre Pepe Carvalho firent figure de précurseurs. Il faut désormais ajouter un nouveau duo ibérique à cette liste : Aro Sàinz de la Maza et son inspecteur Milo Malart, un nouveau venu qui ne compte à son actif que deux enquêtes, mais des enquêtes qui suffisent à faire rentrer le flic et son créateur parmi les grands du roman policier.

LES MUSELES DE LA MAZA

Qui est-il ce Milo Malart pour mériter l’attention de milliers de lecteurs ? Comme nombre de ses collègues fictifs, c’est un personnage mal à l’aise avec la vie. Taciturne à tendance schizophrénique (!) il agit uniquement par intuition en faisant confiance à son « antenne parabolique » dont se moquent ses collègues. Invivable, asocial, soumis à des rêves intolérables, il se balade avec un mal-être qui le renvoie à son enfance douloureuse, marquée par la séparation d’avec ses parents, la violence de son père retrouvé. Et cette gêne de folie, que son frère perpétue et dont Milo craint l’héritage. Seul, il est obligé de composer avec une équipière, Rebeca, qui lui révèle les côtés noirs et sombres de sa personnalité. Une seule rédemption pour l’inspecteur : chaque matin à l’aube se baigner dans l’eau de la mer comme une manière de se laver des horreurs du jour à venir. Rituel accompagné de la lecture du journal, de l’horoscope et d’un repas éternellement identique. Il est LE sujet principal de ces deux polars. L’intérêt majeur des ouvrages, à la fois par sa personnalité et pas sa manière de résoudre l’enquête : prendre la place d’un morceau du puzzle, s’y infiltrer et raisonner comme si.

Sagrada Familia Barcelone
La construction de la Sagrada Familia a commencé en 1882. Deux ans après le début des travaux, le célèbre Gaudi a été appelé pour terminer l’ouvrage.

Mais Milo est aussi une pierre de cette ville qu’est Barcelone, partie prenante et envoûtante des deux enquêtes. Avec le fantastique Bourreau de Gaudi c’est l’envers des Remblas, des touristes que nous donne à voir Sàinz de la Maza. On se promène certes du Parc Güell à la Pedrera et l’on pénètre même dans la Sagrada Familia, mais on découvre surtout les 400 familles les plus riches de la ville, celles qui tirent leur richesse de leur pouvoir sans borne, sans contrôle.

Crise économique espagne

Avec Les muselés, c’est la Barcelone de la crise de 2008, qui laisse des milliers de personnes dans la misère, prêtes à tout pour survivre, mais obligées de se taire comme le dévoile le titre. Milo lui aussi serait prêt à renverser le monde pour vaincre ses terreurs et les enquêtes magnifiquement menées n’ont pas pour seul but de trouver un assassin, mais aussi de décrire une Espagne rangée au côté des nations en voix de déliquescence. Au fur et à mesure des pages, la noirceur se densifie même si les investigations et les intuitions progressent vers une petite lumière éclairante. Il y a un caractère politique aux images de Milo, celui des services publics abandonnés, des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres, mais ces constats, qui peuvent paraître banals sont mis en exergue par des intrigues que ne sauraient renier les meilleurs polars. Le plaisir de lecture est énorme et le suspense, indispensable dans ce type de littérature, tient vraiment jusqu’à la dernière page.

Le Bourreau de Gaudi est une balade terrifiante dans l’univers de l’architecte catalan, balade érudite et aux confins de la folie humaine. Les Muselés est une balade au sein des bannis de la société de consommation, chez ceux qui un jour ont basculé du mauvais côté. Les deux ouvrages réunis offrent une image désabusée d’une société espagnole aux abois. Mais les assassins seront quand même dévoilés au cours de longues enquêtes que le lecteur ne peut abandonner. On attend avec impatience un troisième tome.

Le Bourreau de Gaudi

Actes Sud Littérature
Actes noirs
Septembre, 2014 / 14,5 x 24,0 / 672 pages
traduit de l’espagnol par : Serge MESTRE

Les Muselés

Actes Sud Littérature
Actes noirs
Septembre, 2016 / 14,5 x 24,0 / 368 pages
traduit de l’espagnol par : Serge MESTRE

Le Bourreau de Gaudí (El asesino de la Pedrera, 2012) a valu à son auteur le Prix international RBA du roman noir.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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