Le film de Catherine Rechard, le Déménagement, produit par Candela productions, raconte le transfert des prisonniers de l’ancienne Maison d’arrêt de Rennes vers le nouveau centre de détention de Vezin-le-Coquet. Il n’a pas le droit d’être diffusé sur les télés nationales. La raison est une soudaine interdiction de l’Administration Pénitentiaire qui a demandé à la réalisatrice de flouter les visages des détenus et surveillants acteurs du documentaire.

Cette décision est pour le moins inattendue. En effet, la convention signée entre les deux parties ne stipulait aucunement cette exigence. Alors, que s’est-il passé pour que l’administration aille jusqu’à censurer une œuvre cinématographique dont la finalité est de toucher un large public ?

J’ai vu le documentaire en question en avant-première au TNB (Théâtre National de Bretagne). De fait, il a la possibilité d’être présenté dans certaines salles de cinéma et festivals. Le contenu n’est aucunement critique ni dangereux pour personne. Au contraire, tout ce qui y est dit est sensé. Mieux : une certaine humanité transparaît finement entre surveillants et détenus dans les murs de l’ancienne maison d’arrêt de Jacques Cartier.

C’est d’ailleurs peut-être là que repose le problème. Ayant travaillé comme conseiller d’insertion et de probation, je connais parfaitement les vieux mécanismes existants chez les hauts fonctionnaires de cette administration. La contrainte du floutage n’est qu’un prétexte. Étonnamment au XXIe siècle, dans une démocratie libérale occidentale, il semble que cela soit la présence de cette dimension humaine que craint la bureaucratie.

En effet, le film fait passer les détenus interrogés pour des êtres humains normaux. Des individus qui réagissent intelligemment à chaque augmentation des paliers de la contrainte sécuritaire. Et pour l’administration, cette humanisation du détenu est en contradiction avec le profil dangereux auquel il doit répondre.

En outre, Le déménagement établit une relation de cause à effet entre la liberté dont jouissaient les détenus dans les coursives de l’ancienne maison d’arrêt et un climat carcéral plus apaisé.

Dans un contraste saisissant, la nouvelle prison se fait sans tarder remarquer par les problèmes générés par les constructions en partenariat avec le privé. Leurs noms et conséquences : fadeur des lieux, surenfermement, déshumanisation, surcoût, etc.

Aussi suis-je conduit à penser qu’ici reposent les vraies raisons qui expliquent l’entrave faite par le directeur de l’administration pénitentiaire. Critiquer gentiment la délégation au privé des constructions carcérales et de certaines activités équivaut à montrer que cela ne marche pas.

L’administration a décidé – par on ne sait quel processus « démocratique » – qu’il en serait ainsi. Il ne resterait donc plus qu’à se taire !

Pourtant, il peut être utile de préciser un point. Alors qu’à l’horizon 2012, environ 50 % des établissements pénitentiaires fonctionneront en gestion déléguée ou mixte (et souvent pour des formules de partenariat de très longue durée), la Cour des Comptes a émis un rapport en 2010 dans la veine de celui de 2006. Ce dernier avertit que cette hausse de la gestion déléguée s’est produite sans véritable évaluation des partenariats ni réelle comparaison entre gestions publique et privée.

Une pétition est en ligne sur le site : www.ledemenagement-lefilm.com. Beaucoup de personnalités l’ont déjà signé. Il y est demandé, notamment, une intervention du ministre de la Culture.

Tous ceux qui oeuvrent pour une prison plus humaine et plus juste attendent une autre réponse du Directeur de l’administration pénitentiaire ou du Garde des Sceaux.

La question du floutage est minime au regard des problèmes de la condition carcérale. Mais on ne peut laisser passer une censure qui ne devrait plus avoir sa raison d’être dans notre époque.

Dragan Brkic

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