Le pays intérieur d’Anne Maurel invite à faire un beau voyage et visiter des territoires inconnus. Comment ne pas être tenté par cette aventure alors que cette escapade se fait sans bouger de chez soi. L’anthologie Le Pays intérieur est un voyage intellectuel, une exploration du moi intérieur.

Un siècle avant la naissance de la psychanalyse, une double aventure s’est engagée à travers la volonté de découvrir. Le XIXe siècle a été le théâtre d’une nouvelle vague de découvertes terrestres et maritimes, mais aussi  psycho-spirituelles.

Dès la fin du XVIIIe siècle, les écrivains s’embarquent pour le voyage au centre du moi, de l’âme ou du psychisme. C’est cette histoire que raconte Anne Maurel dans un brillant ouvrage. Elle y présente un éventail d’écrivains, de philosophes et de médecins qui se sont penchés d’une nouvelle manière sur la nature de l’intériorité humaine. Dans la veine de l’exploration maritime et la consolidation de l’optique, le journal intime se fait carnet de bord, scrutation de soi, voire cartographie de l’intériorité de l’homme.

De Maine de Biran, un Christophe Colomb de la métaphysique, à Nietzsche qui renvoie le moi de l’homme aux sombres labyrinthes grecs et le fait réémerger dans l’instabilité créatrice de son perspectivisme, les manières sont vastes. Xavier de Maistre détaille les conditionnement et autres automatismes du quotidien. Henri-Frédéric Amiel tente de dissoudre le temps extérieur dans une narration sans fin que propose son journal intime riche de 17000 pages. Benjamin Constant chiffre ses humeurs à la façon d’un vaste métronome. Quant à Hippolyte Taine, il conçoit la mémoire comme un atlas géant dans lequel les souvenirs sont les territoires visibles d’un océan d’oubli.

Le pays intérieur : Voyage au centre du moi est une mine d’or dont les références sont pertinentes et bien organisées. Loin d’être un simple catalogue de références, il ouvrage offre une promenade évasive qui vient enivrer l’ensemble de nos sens.

 Anne Maurel, Le pays intérieur : Voyage au centre du moi, Anthologie des penseurs européens (1770-1936), Robert Laffont, mai 2008, 986 p. 30€

  Extrait :

Promenade d’une demi-heure au jardin par une fine pluie.  – Paysage d’automne. Ciel tendu de gris et plissé de diverses nuances, brouillard traînant sur les montagnes à l’horizon; nature mélancolique, les feuilles tombaient de tout côté comme les dernières illusions de la jeunesse sous les larmes de chagrins incurables – nichée d’oiseaux babillards s’effarouchant dans les bosquets et s’ébattant sous les branchages comme des écoliers entassés et cachés dans quelque pavillon – le sol jonché de feuilles brunes, jaunes et rougeâtres – les arbres à demi dépouillés, les uns plus, les autres moins, fripés de roux, de citron, d’amarante (ordre de dépouillement: catalpa, mûrier, acacia, platane, tilleul, ormeau, lilas) – les massifs et buissons rougissants – quelques fleurs encore: roses, béquettes, capucine, dahlias rouges, blancs, jaunes, panachés, égouttant leurs pétales, des pétunias flétris, des mesembryanthemum au riche incarnat et dont le feuillage en couronne éclipse par sa teinte les fleurs mignonnettes, mauves roses, téraspics lilas -maïs desséchés, champs nus, haies appauvries. – Le sapin, seul vigoureux, vert, stoïque au milieu de cette phtisie universelle; éternelle jeunesse bravant le déclin. Tous ces innombrables et merveilleux symboles que les formes, les couleurs, les végétaux, les êtres vivants, la terre et le ciel fournissent à toute heure à l’oeil qui sait les voir, m’apparaissent charmants et saisissants. J’avais la baguette poétique et n’avais qu’à toucher un phénomène pour qu’il me racontât sa signification morale. J’avais aussi la curiosité scientifique, j’enregistrais et questionnais; pourquoi le rouge domine? ce qui fait durer inégalement les feuilles? etc.

     Un paysage quelconque est un état de l’âme,  et qui sait lire dans tous deux est émerveillé de retrouver la similitude dans chaque détail. La poésie est plus vraie que la science, parce qu’elle est synthétique et saisit dès l’abord ce que la combinaison de toutes les sciences pourra tout au plus atteindre une fois comme résultat. L’âme de la nature est devinée par le poète, le savant ne sert qu’à accumuler les matériaux pour sa démonstration. L’un reste dans l’ensemble, le second vit dans une région particulière. L’un est concret, l’autre abstrait.

     L’âme du monde est plus ouverte et intelligible que l’âme individuelle, elle a plus d’espace, de temps et de force pour sa manifestation.

Journal intime  de Henri Frédéric Amiel, octobre 1852, in Anne Maurel Le Pays intérieur, Collection Bouquin, p.282-283.

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