Mardi 1er novembre 2022, jour de la Toussaint, la France célèbre ses défunts. En ce jour férié, plongeons dans le folklore breton, dans sa mythologie et ses croyances… Et si on parlait de l’Ankou, la personnification de la mort en Basse-Bretagne ?

Hier, lundi 31 octobre 2022, ou plus probablement ce weekend, petites et grandes créatures arpentaient les rues à la recherche de mets sucrés. Mais aujourd’hui, l’heure des frissons a laissé place à celle du recueillement. En ce 1er novembre, la France, comme nombre de pays, célèbre ses défunts. Le sourire diabolique des citrouilles s’est éteint et les toiles d’araignées ont disparu.

En ce jour férié, la rédaction Unidivers s’apprête à vous parler de croyances d’un autre temps qui ont marqué, certainement, l’esprit de nombre de vos ancêtres. Et si on parlait de l’Ankou, la personnification de la mort en Basse-Bretagne ? Installez-vous confortablement dans votre lit, votre canapé ou autre assise qui vous siéra, ça va commencer… Êtes-vous prêts à parler de celui qui fit hérisser les poils du Breton le plus vaillant ?

« On dépeint l’Ankou, tantôt comme un homme très grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, la figure ombragée d’un large feutre ; tantôt sous la forme d’un squelette drapé d’un linceul, et dont la tête vire sans cesse au hauT de la colonne vertébrale, ainsi qu’une girouette autour de sa tige de fer, afin qu’il puisse embrasser d’un seul coup d’œil toute la région qu’il A pour mission de parcourir », Anatole Le Braz, La Légende de la mort en Bretagne (fin XIXe siècle)

Grâce à Légende de la mort en Bretagne d’Anatole Le Braz, publié en 1893, tout le monde aujourd’hui connaît l’Ankou, le messager de la mort. Mais, à l’instar de Barzaz Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué (1839), Mémoires d’un paysan bas-breton de Jean-Marie Déguignet ou encore l’album L’Ankou de la bande dessinée Les aventures de Spirou et Fantasio (1977), combien d’ouvrages littéraires, contes et légendes, font appel à son histoire ? Dans combien d’églises et sur combien d’ossuaires en Bretagne cette figure de la mythologie bretonne est-elle représentée ?

Il fut un temps, la simple évocation de l’Ankou faisait trembler plus d’un Breton, particulièrement en Basse-Bretagne, dans les Monts d’Arrée, où il régnerait en maître…  Il hanta les nuits, et peut-être même encore aujourd’hui, de toute une population. Terrorisée par cette figure dans son enfance, la célèbre tueuse en série Hélène Jégado surmonta même sa peur en se prenant pour sa réincarnation… On connaît la suite de l’histoire. Et bien que les anciens Celtes et les Bretons christianisés ne craignirent la mort, considérée comme le commencement d’une vie meilleure, ils ne plaisantaient pas quand on mentionnait le nom de celui qui murmurait à l’oreille de la plus grande tueuse en série française.

Personnage hérité de la mythologie celtique, la fonction de l’Ankou serait d’assurer la perpétuation des saisons, des cycles vitaux comme la naissance et la mort, et l’alternance du jour et de la nuit. Selon certains, il serait associé au dieu gaulois Sucellos et au dieu druide irlandais Eochaid Ollathair, ou Le Dagda, qui tuent et donnent la vie avec leur arme, maillet ou massue. Sa fonction fut ensuite réduite à la seule mort…

L’Ankou est souvent perçu, à tort, comme la personnification de la mort en Basse-Bretagne ou le maître de l’au-delà. Il est en réalité plus son serviteur, son messager, que la Mort elle-même. Une entité psychopompe qui collecte les âmes des défunts pour les guider vers l’Au-delà. Dans son recueil, l’écrivain et folkloriste Anatole Le Braz le décrit comme « l’ouvrier de la mort (oberour ar marv). Le dernier mort de l’année, dans chaque paroisse, devient l’Ankou de cette paroisse pour l’année suivante. Quand il y a eu, dans l’année, plus de décès que d’habitude, on dit en parlant de l’Ankou en fonction : War ma fé, eman zo un Ankou drouk (Sur ma foi, celui-ci est un Ankou méchant) ». Gardien protecteur pour les morts, il est un mauvais présage pour les vivants. On dit que, qui aperçoit l’Ankou mourra dans l’année…

Une faux montée à l’envers à la main – bien que son arme canonique soit le « maillet béni », le serviteur de la mort ne circule que la nuit, debout sur sa charrette, karr an Ankoù, aux essieux qui grincent. Elle est traînée par deux chevaux attelés en flèche : celui de devant est maigre et arrive à peine à marcher, le second est gras et fort. l’Ankou est escorté de deux hommes, l’un tient la bride du cheval de tête et l’autre ouvre les barrières et les portes pour ce convoi funeste, empilant les morts que le collecteur a fauché sur son chemin. « Lorsqu’un mourant trépasse les yeux ouverts, c’est que l’Ankou n’a pas fini sa besogne dans la maison et il faut s’attendre à le voir revenir à bref délai pour quelque autre des membres de la famille », lit-on dans Légende de la mort en Bretagne. Et si vous entendez des clochettes tintinnabuler ou le crissement significatif d’un chariot qui se rapproche, l’Ankou n’est peut-être pas loin…

Quand il se trouve sur le littoral, c’est à bord du bateau, Bag noz, que l’Ankou collecte les anaon, les âmes des trépassés…

stephane lavoué l'ankou
Stéphane Lavoué, « Greg, l’Ankou », 2020 © Musée de Bretagne

Encore aujourd’hui, le folklore autour de la figure du passeur d’âme reste prégnant, parfois au détriment de la population résidente. Explorant les terres singulières de Bretagne, le chemin du photographe Stéphane Lavoué a croisé celui des habitants de Botmeur, dans les Monts d’Arrée. « Les habitants étaient plutôt hostiles à la présence d’un photographe, venu travailler sur les légendes et les répercussions sur la vie dans ces territoires. Ils sont lassés qu’on vienne leur parler de l’Ankou et n’ont pas envie de devenir comme Brocéliande qui voit débarquer des cars remplis de touristes à la recherche du Roi Arthur », expliquait-il lors de notre rencontre pour son exposition Western, actuellement aux Champs libres.

Parmi les clichés de la série « Les Enchanteurs », Stéphane a immortalisé le dos de Greg, qui a perdu l’usage d’un bras suite à un grave accident de moto à 16 ans. Après plusieurs années de convalescence et de rééducation, il est devenu « résilien », et, symboliquement, il décide de tourner le dos à la mort et se fait tatouer l’Ankou dans le dos. Un encrage qui révèle que les croyances, même symboliques, sont toujours là… Et vous, n’avez-vous pas une histoire à raconter sur le messager de la mort ?

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