Rennes. Wanjiru Kamuyu danse l’immigration au Triangle

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An Immigrant's Story
An Immigrant's Story © Anne Volery - Palais de la Porte Dorée

Le Triangle de Rennes accueille An Immigrant’s Story de Wanjiru Kamuyu, mercredi 3 décembre 2025. La chorégraphe revient dans cette création sur son parcours de migrante entre le Kenya, l’Amérique du Nord et l’Europe, et interroge, avec critique et humour, les privilèges et l’altérité.

« Immigration : nom féminin. Installation dans un pays d’un individu ou d’un groupe d’individus originaires d’un autre pays. (L’immigration est le plus souvent motivée par la recherche d’un emploi et la perspective d’une meilleure qualité de vie.) » Si telle est la définition du dictionnaire Larousse, avec An Immigrant’s Story, Wanjiru Kamuyu danse cette notion avec un regard à la fois critique et amusé, individuel et collectif.

Wanjiru Kamuyu
Wanjiru Kamuyu © Mathieu Waddell

Entre Afrique, Amérique du Nord et Europe

Wanjiru Kamuyu est Kényane Mũgikũyũ / Africaine-Américaine : elle est née à Nairobi (Kenya) d’une mère Africaine-Américaine, a étudié aux États-Unis et vit à Paris depuis 2007. « Quand je suis née, il n’était pas possible d’obtenir la double nationalité, ma mère a choisi le passeport américain. La personne au bureau de l’immigration lui avait dit qu’elle avait fait le bon choix », se souvient-elle avant de préciser : « Le passeport étatsunien me donne le privilège de voyager dans le monde avec beaucoup de facilité. Celui du Kenya, lui, ne donne aucun privilège en comparaison, il permet de visiter 42 pays. » Dans le spectacle An Immigrant’s Story, elle revient justement sur cette question de privilèges et de frontières, visibles ou invisibles.

La création est née de ce nomadisme géographique et d’une rencontre marquante, en 2017 : pour un projet avec Euroculture, la chorégraphe accompagne 65 jeunes artistes d’Europe de l’Est, dont 11 réfugiés. « Les échanges forts avec les réfugiés m’ont fait réfléchir à mon propre parcours de migrante », raconte-t-elle. « C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de traiter l’immigration dans une création, en ajoutant mes pensées personnelles et les problématiques politico-sociales du monde. Mes réflexions m’ont conduite à différencier les notions d’immigrants “privilégiés” et d’immigrants défavorisés. »

Wanjiru évoque la migration et l’accueil de l’Autre, et questionne le déplacement et l’altérité. « En France, je suis toujours identifiée comme une immigrante. Ce n’est pas grave, mais il faut savoir l’accepter », exprime-t-elle. « On considère les étrangers comme des personnes en périphérie, on ne les intègre jamais totalement dans la société. » An Immigrant’s Story prolonge ces questionnements en interrogeant aussi les mécanismes géopolitiques qui incitent ou contraignent au départ.

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An Immigrant’s Story © Anne Volery – Palais de la Porte Dorée

L’immigration en danses et en paroles

Là où Portraits in Red (2017) développait une danse-performance et Fragmented Shadows (2023) une danse abstraite fragmentée, An Immigrant’s Story possède, elle aussi, sa propre empreinte : un solo de danse-théâtre créé en 2020, devenu aujourd’hui un duo ouvert à la langue des signes française.

D’abord la danse. « Je suis passée par différents axes donc mon langage corporel traduit aussi la notion de migration. » Nomade, Wanjiru Kamuyu l’est autant dans sa géographie que dans son art. Son propre corps est en constant déplacement : elle convoque la danse classique qu’elle a étudiée pendant son enfance au Kenya, la danse contemporaine qu’elle a approfondie aux États-Unis et le butô, danse qui l’intéresse beaucoup sans qu’elle ait suivi de formation spécifique. Son langage chorégraphique est aussi empreint de l’esthétique de différentes danses et cultures de continents et d’ethnies africains, mêlées à des influences européennes et nord-américaines.

immigrants story

Puis la parole. À l’image de ses précédentes créations, la chorégraphe mène avec An Immigrant’s Story une réflexion à la fois individuelle et collective : « L’immigration peut avoir plusieurs sens. Certains restent dans leur pays, mais changent de ville ; d’autres sont nomades, expatriés ou réfugiés », explique-t-elle. Les témoignages recueillis, de personnes âgées de 9 à 70 ans, se mêlent à sa propre histoire, comme autant de voix marginalisées qu’elle a à cœur de rendre visibles pour donner à la pièce une portée universelle : « Dans une des histoires, la personne ne se définit pas avec un terme qui renvoie à l’immigration, car ses parents ont sacrifié leur vie pour immigrer aux États-Unis et lui donner une meilleure vie. »

« Deux questions reviennent quand on est immigré·e : “où est ma place dans la société ?” et “où est ma maison ?”. Certains ne se sentent chez eux nulle part. »

Wanjiru Kamuyu pose un regard critique, mais amusé. Wanjiru a choisi,pour aborder ce sujet lourd, la légèreté plutôt qu’une approche frontale : elle attrape le public avec humour pour ensuite faire naître la réflexion. « C’est le message du spectacle, rester ouvert et disponible plutôt que sur la défensive. » Dans cette même dynamique positive, les mots d’un texte politiquement très engagé – Femme de fer écrit par l’autrice Laetitia Ajanohun – résonnent en voix off. Si les mots sont chargés, les voix sont volontairement souples et lumineuses, elles accompagnent avec douceur le public dans la traversée de cette histoire chorégraphique forte. « C’est un texte fort, mais je voulais qu’on sente de la chaleur derrière la voix pour qu’il atteigne le public. »

Sur scène, la chorégraphe et la danseuse-interprète LSF Nelly Célérine se font, au final, messagères d’une histoire d’humanité. « Dans mon parcours en tant que chorégraphe, c’est important pour moi de souligner et de faire vivre les histoires ignorées et les communautés marginalisées de la société. Deux communautés le sont particulièrement : les personnes aveugles et les personnes sourdes », souligne-t-elle. Plus qu’une traductrice, Nelly Célérine fait partie intégrante du spectacle : les deux artistes cohabitent sur scène en toute complémentarité. « Je voulais qu’elle soit intégrée et pas seulement en noir sur le côté de la scène. » Dans cette histoire chorégraphique empreinte d’humanité, Wanjiru Kamuyu et Nelly Célérine révèlent les frontières qu’une société érige face à l’étranger et à l’inconnu. Des frontières qu’elles s’attachent à faire tomber.

Infos pratiques :

Mercredi 3 décembre 2025, à 19h
An Immigrant’s Story de Wanjiru Kamuyu (Compagnie WKCollective)

Le Triangle, cité de la danse
Boulevard de Yougoslavie, 35200 Rennes

Tarifs :
9 € tarif unique
4 € SORTIR !
2 € SORTIR ! enfant
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