« La nuit allongée dans sa cellule, la télé éteinte, les bruits enfin calmés, elle repense à ce soir-là, sur la véranda. Elle tente de se convaincre qu’elle l’a vraiment vécu. Elle compte les minutes qu’il lui reste à vivre. Le 25 août est dans soixante-deux jours, 89 280 minutes. »

29 ans seulement, mais Karen en a fini avec la vie. Ou presque. Elle est dans le couloir de la mort d’une prison du Texas, en attente de son exécution… Une exécution qui fait affluer les touristes, heureux de se rapprocher du cœur de l’évènement. Et qui va rapprocher comme par hasard, mais pas tout à fait, Karen de deux femmes. Célia, veuve d’un des hommes assassinés par Karen, décide d’écrire à la meurtrière, non pas pour lui pardonner, mais pour lui parler tout simplement, parler de sa vie d’avant, de son mari, du manque et du vide de la vie d’aujourd’hui. Quant à Franny, elle était censée être juste de passage, mais se fera un devoir d’apporter son aide en prison, et aura du mal à en repartir.

Voici donc trois femmes que tout sépare. Pourtant, elles vont se trouver rapprochées par l’exécution de Karen. Trois femmes dont la vie semble s’enliser, qui n’arrivent plus à avancer (Karen n’a plus tellement de possibilités…) et qui se confient, partagent leurs peurs, leurs joies, leurs souvenirs, leurs espoirs. Les destins de ces trois femmes s’intercalent au fil des chapitres de manière fluide ; l’auteur, à travers un style simple et sobre, réussit à merveille à faire monter l’émotion. Le lecteur s’apitoie bien sûr sur le triste destin de Karen qui, à elle seule, cumule toutes les horreurs possibles et imaginables : maltraitée lorsqu’elle était enfant puis vendue par sa mère à 12 ans, elle a dû se prostituer. Elle a été violée, battue et se trouve séropositive au seuil de la mort (en plus de devoir être exécutée !). Bien sûr, elle a tué. Mais on compatit vraiment à un terrible destin qui l’a conduit au bout du rouleau. Qui plus est, Karen était en état de légitime défense.

On voudrait que Clélia se bouge un peu et accepte enfin la mort de son mari, se remette en selle comme on dit, fasse son deuil et reparte de l’avant. Mais elle est attachante elle aussi sous bien des aspects, malgré la vie terne qu’elle mène cahin-caha. De son côté, Franny est également paumée. Elle ne peut se départir d’un énorme sentiment de culpabilité après un « problème » qu’elle a eu dans l’exercice de sa profession. La rencontre avec l’univers carcéral et ses problèmes va la réveiller, lui redonner l’envie de vivre et de se battre.

Le ciel tout autour touche au quotidien de la prison, à ses rituels dérisoires pour qui vient de l’extérieur, mais indispensables pour survivre sans devenir fou quand on y est enfermé. Cet univers totalement inconnu fait peur autant qu’il fascine. On découvre la haine, l’entraide, l’amitié, la jalousie… toutes les passions, tous les sentiments sont mêlés les uns aux autres, se fondant dans une violence quotidienne amplifiée par la proximité et surtout par l’absence d’espoir, d’avenir.

Qu’on soit favorable ou opposé à la peine de mort, aucun lecteur ne pourra rester insensible à la lecture de ce poignant roman d’Amanda Eyre Ward. Les portraits de femmes sont brossés avec une tendresse incroyable, quels qu’aient été leur vie et leurs méfaits. Malgré tout, ces femmes restent dignes. Une belle leçon de vie qui mérite d’être découverte.

Le ciel tout autour d’Amanda Eyre Ward, 253 pages, Éditions 84 (7 août 2006), 253 p., 5,50€

« Pour survivre à l’enfermement, il faut oublier le monde extérieur, la pluie sur la peau, le plaisir de conduire une voiture où bon vous semble. Trouver quelqu’un à aimer à l’intérieur des murs, cesser d’attendre qu’on appelle votre nom les jours de visite. C’est facile, d’une certaine façon, un peu comme sombrer dans des sables mouvants ou dans la tristesse. Il suffit de lâcher prise. »

« Karen est dans le Couloir de la Mort depuis cinq ans. Chaque heure qui passe ressemble à la précédente. Elles connaissent toutes la date de leur exécution, et l’ordre dans lequel elles sont censées mourir : Jackie, Karen, Veronica, Tiffany, Sharleen. Mais aucune n’est morte encore, donc elles sont sauves. Elles se sont habituées au rythme lent et répétitif de leurs journées. Demain matin, si Jackie est emmenée, revêtue de sa robe rouge, et exécutée – oui, si Jackie est emmenée, elles le seront toutes. Et Karen sera la prochaine. »

 

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