La maladroite, premier roman d’Alexandre Seurat, évoque avec justesse toutes les apparences trompeuses qui s’accumulent et qui forment l’alibi courant, si banalement commun, des aveuglements face à l’enfance maltraitée. Un vrai roman qui, par le truchement d’un destin unique et singulier, nous parle, sans fausse pudeur, d’une réalité atrocement collective. 

 

Quand j’ai vu l’avis de recherche, j’ai su qu’il était trop tard. Ce visage gonflé, je l’aurais reconnu même sans nom — ces yeux plissés, et ce sourire étrange — visage fatigué —, qui essayait de dire que tout va bien, quand il allait de soi que tout n’allait pas bien, visage me regardant sans animosité, mais sans espoir, retranché dans un lieu inaccessible, un regard qui disait tu ne pourras rien, et ce jour-là, j’ai su que je n’avais rien pu. 

seurat la maladroiteLe récit commence par les mots de la première institutrice de Diana. Diana, un prénom de princesse vouée au malheur. Alexandre Seurat reconstitue alors les impressions de tous ceux qui ont côtoyé l’enfant. En suivant son évolution, la grand-mère et la tante dévoilent tout d’abord l’environnement familial qui verra naître Diana. Puis, membres de la famille, personnels des successives écoles dans lesquelles Diana est scolarisée, assistantes sociales, gendarmes, médecins s’expriment. Tous ont compris les violences faites à l’enfant, tous ont tenté de faire quelque chose, ont fait de leur mieux en espérant toujours que d’autres prendront le relais, que la justice suivra son cours. Failles du système lié à la protection de l’enfance, hypocrisie et mensonges flagrants des parents, forme d’acceptation des enfants par peur ou obligation, l’action n’est pas facile à mener.

Que peut-on faire face à un père « courtois et cordial » qui répond à toutes les questions sans embarras, à des enfants qui « défendent » leurs parents allant jusqu’à répéter indéfiniment les versions parentales ? L’indignation s’installe face aux mises en scène familiales et à l’impuissance des acteurs sociaux.

Alors j’ai cité les blessures une par une, et pour chacune ils avaient une explication — rigoureusement la même que la petite. Ils étaient même capables de détailler les circonstances de chaque situation, et de situer chaque membre de la famille dans chaque circonstance. J’ai tout noté, je les ai remerciés, ils sont sortis, je n’aimais pas ça.

apparences trompeuses la maladroite enfance et partageAlexandre Seurat trouve le bon ton, la justesse des mots sans surenchère d’émotions pour rendre compte de son indignation face à un fait divers qui a suscité ce besoin d’écriture. En s’attachant aux faits, aux témoignages d’une grande sobriété, l’auteur retrace de manière clinique ce qui s’est déroulé pendant la courte vie de Diana.

Et pourtant, face à cette voix authentique, le lecteur est indigné, bouleversé, hanté comme les protagonistes par des cauchemars d’impuissance envers cette petite frimousse gonflée de douleur qui ne reproche rien et demande juste un peu d’affection. Avec ce premier roman, Alexandre Seurat nous rappelle les nombreux cas d’enfants maltraités dans un environnement parfois aveugle ou impuissant.

Agrégé de Lettres modernes, Alexandre Seurat enseigne la littérature à l’université d’Angers. En 2010, il a soutenu une thèse de littérature générale et comparée à la Sorbonne, sur « Le roman du délire. Hallucinations et délires dans le roman européen (années 1920-1940) ».

Alexandre Seurat La maladroite, Editions du Rouergue (Actes Sud), collection La Brune 13,80 euros. Sélectionné pour le prix Fnac du Roman 2015.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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