Dans son nouveau livre, Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ?, Alex Taylor fait un voyage vers l’Angleterre pour s’occuper de son père atteint de la maladie d’Alzheimer. L’occasion  de poser ses bagages dans un pays qu’il a quitté il y a plus de trente ans, et de réfléchir aux véritables raisons d’un exil volontaire. Au fil des réminiscences d’un père qui décline, mais aussi de ses propres souvenirs,  le journaliste cherche à extraire de leur mémoire commune une vérité attendrissante, comme un hommage à ceux que l’on aime encore, malgré la séparation.

Jérôme Enez-Vriad : Le livre est un hommage à votre père construit autour de souvenirs personnels et intimes…

Alex Taylor : Comme je l’écris à la fin, mon père savait tout de ma vie et en était fier. Alors que la maladie abîmait sa mémoire, il a dit à une infirmière : Alex has a boyfriend ! C’est pour raconter ce processus d’acceptation que j’ai écrit le livre. Je suis fier de lui. Fier qu’il ait su m’écouter et me comprendre.

Le récit s’ouvre sur la description d’une toile de William Frederick Yeames, et se termine avec un alexandrin de Shakespeare. Est-ce une manière d’affirmer que, du biberon à la dernière pinte, on est à jamais tributaire de ses origines ?

"when did you last see your father ?" de William Frederick Yeames
« When did you last see your father ? » – W. F. Yeames

J’ai passé ma vie à lire, à étudier et regarder des tableaux dans le monde entier. Cette œuvre de Yeames est évoquée en première page, car elle a marqué mon enfance. Mais le choix de la coupler avec Shakespeare à la fin n’est pas un renvoi intentionnel à la culture britannique. J’évoque d’ailleurs bien d’autres références, par exemple Omar Kayam, le poète arabe.

Quitter la Grande-Bretagne à 18 ans n’était-il pas une manière de statufier votre enfance dans un souvenir, pendant que vous tentiez de vivre ailleurs ?

Je ne suis pas certain de comprendre le sens du mot « statufier » que je découvre. J’ai plutôt le sentiment d’avoir quitté le Grande-Bretagne, car ce pays ne me permettait pas de vivre en accord avec moi-même, à l’inverse de la France où je suis arrivé en 1981. Je l’ai fait pour m’épanouir.

Le plus difficile est-il de partir ou de rester là où l’on a choisi d’aller ?

En tous cas, pas de rester, sinon cela fait longtemps que je serais reparti. Mon livre atteste que je ne cherche pas à vivre dans la difficulté. Je suis ravi d’avoir vécu ma vie d’adulte  « sur le continent », entre Paris, Berlin et Bruxelles.

Certains construisent leur carrière sur le déracinement alors que vous n’en avez jamais fait un fonds de commerce. Est-ce un choix ?

Je me sens profondément européen et suis fier de ce continent. J’ai horreur des clichés et des stéréotypes sur la nationalité, donc si votre question s’attache au fait de ne pas jouer « l’Anglais de service », vous avez tout à fait raison. En revanche, l’Européen de service, c’est volontiers.

Malgré la concurrence ancestrale entre les langues française et anglaise, vous les faites apparaitre très complémentaires…

"Bouche bée,tout ouïe" de Alex TaylorChaque langue propose une vision du monde. Elle cadre la vie avec ses propres mots et, de fait, est incomplète. C’est ce que j’ai essayé de démontrer dans mon précédent livre, Bouche Bée, Tout Ouïe… (Jean-Claude Lattès – 2010, et Point Poche).

J’ai relevé ce passage « Lorsque je parle anglais (…) dans le creux de mes hésitations, il y a toujours un petit garçon qui doute. »

C’est une manière de dire que l’on adopte une langue étrangère comme une seconde peau, presque un habit neuf et, à l’exemple d’un nouveau costume, elle agit différemment sur nos faits et gestes.

Il est aussi question de la langue allemande, je vous cite : « …, et il a fait de son mieux pour m’apprendre la différence, assez insaisissable, dans sa langue maternelle entre kuscheln, knuddeln et knütern, trois verbes décrivant des états différenciés dans les étreintes ». Expliqueriez-vous cette différence insaisissable aux lecteurs d’Unidivers ?

Surtout pas ! J’ai passé quatre ans à refuser d’en comprendre la véritable signification. La relation avec mon ami allemand était une quête très sympathique de sens. Je ne suis pas sûr qu’on ait fini par le fixer mais, avec le recul, j’en suis très heureux.

Passez-vous par l’anglais pour écrire ?

Je n’arrive même pas à traduire mes livres en anglais et, en ce qui regarde Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ?, le français a permis une distance indispensable à l’évocation de thèmes personnels.

Vous dites avoir nié votre nationalité pour mieux revendiquer votre sexualité. La Grande-Bretagne d’aujourd’hui est-elle aussi dure qu’autrefois avec les mœurs ?

C’est le contraire. La Grande-Bretagne a davantage évolué en trente ans que la France. Le Paris des années 80 était pour moi un phare de libertés comparé au Londres thatchérien. La clause 28 interdisait toute référence à l’homosexualité, exactement comme dans l’actuelle Russie de Poutine. Tony Blair a abrogé cette loi, et David Cameron (qui a succédé à Mrs. Thatcher longtemps après à la tête du parti conservateur) s’en est officiellement excusé. Il est, en outre, l’un des instigateurs du mariage gay en Grande-Bretagne qui vient de voir le jour sans que personne ne soit descendu dans la rue.

Après des amours allemandes et françaises, êtes-vous prêt aujourd’hui à dire Je t’aime en vo : I love you ?

Si l’occasion se présente, oui.

Si vous aviez le dernier mot, Alex Taylor ?

Malgré de nombreuses références culturelles et linguistiques, Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ? est avant tout un hommage à mes parents : mon père, ma mère et ma belle-mère.

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9782709642231-G

Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ? d’Alex Taylor chez JC Lattes, février 2014, 232 pages, 17 €

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Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

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