Que n’a-t-on écrit sur l’histoire exceptionnelle des Maeght ? Il manquait pourtant un volet : celui du fils du couple fondateur de la galerie et de la Fondation mondialement reconnue. Adrien Maeght à son tour raconte. Un texte en forme de testament. Et de plaidoyer.

Dans les dernières pages de son livre La Saga Maeght (1)(voir chronique), Yoyo Maeght écrivait :

Si Papa possède encore des capacités de jugement, va-t-il faire un bilan de sa vie et prendre conscience qu’il s’est privé de l’essentiel ?

Prenant sa fille au mot, sans jamais évoquer ce défi, à l’aube de sa vie, Adrien Maeght, fils de Aimé et Marguerite Maeght, couple fondateur de la plus grande galerie d’art moderne au monde du XXe siècle et de la Fondation de St Paul de Vence, trace dans son livre Dans la lumière des peintres un bilan de sa vie et répond aux reproches d’une de ses filles. C’est qu’il est terrible le paradoxe de cette famille au firmament de l’histoire de l’art et totalement détruite par des guerres familiales intestines où les perquisitions succèdent aux procès.

MAEGHT
Adrien Maeght (né le 17 mars 1930)

Sans doute avec l’âge, Adrien a aujourd’hui 89 ans, la tolérance et la compréhension priment sur le combat et la confrontation. Le livre d’Adrien Maeght est donc dénué de toutes violences et répond explicitement avec pudeur à toutes les accusations d’une vie familiale broyée. Quand Yoyo glorifie son grand père Aimé, à qui elle dresse une statue d’airain, Adrien préfère expliquer décision par décision, son comportement jugé d’enfant gâté ou d’incapable, lui qui sera en froid permanent avec son père dès l’enfance, mais sera adoré de sa mère qui lui lèguera à sa mort sa moitié du patrimoine des Maeght, provoquant le début de 50 ans de procédure. Ce livre se lit plus clairement si le lecteur a en tête ces années de conflits familiaux internes et considère cet ouvrage comme un testament moral.

Aimé Maeght
Aimé Maeght (1906-1981)

On se dit alors que l’art, l’argent, le pouvoir rendent fou car l’odyssée des Maeght aurait dû rester ce qu’elle était à l’origine : l’une des plus exceptionnelles aventures artistiques du XXe siècle. Qui aurait pu imaginer qu’Aimé Maeght, orphelin de guerre, titulaire d’un CAP de dessinateur lithographe et Marguerite, sans aucun diplôme, allaient rencontrer, faire vivre, vendre, exposer et côtoyer les plus grands peintres du siècle dernier ? Adrien nous aide à remonter cette histoire fabuleuse, déjà bien connue mais agrémentée du regard d’un adolescent qui a vécu ces moments privilégiés. La première rencontre avec Bonnard au Canet et l’incroyable dialogue avec Mme Maeght, totalement ignorante des prix pratiqués par le peintre ou les séances de pose avec Matisse, racontent mieux que jamais des moments privilégiés de vie et donnent encore plus d’ampleur à la légende.

FONDATION MAEGHT

Bonnard sera l’ami, le mentor de Aimé. Matisse, à qui sera dédiée la première exposition à la galerie parisienne ouverte juste après la guerre, sera le pilier des débuts économiques. Braque, à qui Adrien consacre de nombreuses pages tendres et belles sera l’ami fidèle jusqu’à sa mort en 1963. Bonnard, Matisse, Braque trois rencontres imprévisibles qui seront le socle de la vie des Maeght.

Elle devait posséder quelque chose de particulier cette famille, même recouverte d’un vernis illusoire, pour que s’associent à son développement tant d’artistes mondialement reconnus alors que la concurrence, y compris américaine des « marchands de tableau », fait rage. Certainement un amour véritable et sincère pour ses créateurs, si différents du commun des mortels et une véritable passion pour l’art. Et l’on ne peut que croire Adrien Maeght quand il explique son amour des oeuvres qu’il côtoie au quotidien dans la galerie, dans son appartement ou chez les artistes, chez qui il se rend à bicyclette puis à moto pour des signatures, des bons à tirer ou des catalogues. Sans aucune formation intellectuelle, on ne peut douter de sa sincérité à évoquer les travaux d’impression des lithographies, procédé dans lequel Aimé voit une manière de démocratiser l’art :

il vaut mieux une lithographie originale qu’une mauvaise reproduction.

Même sans révélation fracassante, on lit, ou relit, avec plaisir les portraits de Miro, ami infaillible, les exigences formelles de Giacometti, la gentillesse enfantine de Calder, la jalousie de Chagall. Et les repas du samedi chez les Braque autour du fameux « gigot d’agneau ».

MAEGHT

Ainsi se lit ce livre, entre témoignage passionnant du monde de l’art pendant un demi siècle et une sordide histoire familiale, dans laquelle l’amour est inégalement réparti. Adrien Maeght écrit au début de son livre qu’il a « adoré » sa mère et qu’il a « beaucoup aimé » son père. Une nuance affective qui explique probablement en partie la déliquescence familiale. Avec le pouvoir. L’argent. Et la démonstration que l’Art ne peut pas, seul, rendre totalement heureux.

Dans la lumière des peintres d’Adrien Maeght. Éditions JC Lattès. 44O pages. Parution 5 juin 2019. 21,90€.

(1) Éditions Robert Laffont. Éditions poche en 2017. Collection Points.

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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