Après le succès de son premier roman, Le bruit de tes pas, très remarqué en 2013, Valentina d’Urbano affirme son talent de conteuse dans Acquarena une nouvelle histoire d’amitié vibrante et fatale.

 

Fortuna rentre après dix ans d’absence à Roccachiara, village de son enfance au Nord de l’Italie. La découverte d’ossements dans le petit bois entre le lac et le village serait-elle liée à la disparition de Luce, sa meilleure amie ? Elle retrouve la froideur du village, la rudesse de sa mère Onda et ses souvenirs de jeunesse. Ce village, elle l’a quitté précipitamment à l’âge de dix-huit ans, à la suite de la disparition de Luce le jour de ses vingt et un ans. Fortuna raconte alors l’histoire de sa famille, cette lignée de femmes aux dons surnaturels.

Valentina d'Urbano AcquarenaTout commence avec Clara Castello, vieille folle un peu sorcière, qui connaît toutes les plantes, mais préfère s’isoler avec ses chats blancs. Elle accepte toutefois de recueillir Elsa, jeune orpheline renvoyée de son travail chez le maire du village. La jeune fille apprend le pouvoir des plantes et découvre vite qu’elle est capable de prévoir la mort d’une personne en rêvant de l’eau glaciale du lac. De son mariage avec Angelo, un pauvre pêcheur, naît Onda ; un hommage à cette « eau, à l’eau transparente de ses rêves et à l’eau noire du lac » qu’Elsa ressent notamment lors d’un rêve prémonitoire de la mort de son mari durant un tremblement de terre.

Bien sûr, si les habitants du village requièrent à la nuit tombée les services de Clara et Elsa, la famille de voyantes est rejetée par tous. La scolarisation d’Onda est ainsi difficile et un incident avec une fille de riche famille mettra un terme dès l’école primaire. À la mort de Clara, Onda, adolescente commence à percevoir son don : la possibilité de converser avec les morts.

« Les gens qui croyaient en ses dons avaient peur d’elle. Ceux qui n’y croyaient pas la chassaient en l’accusant de mentir. »

C’est en associant le cadavre et l’esprit d’une jeune suicidée qu’Onda prend peur et s’isole comme une sauvageonne dans une cabane abandonnée près du lac. Enceinte d’un jeune anglais de passage, elle retourne voir sa mère afin que celle-ci l’aide à avorter. Mais ce n’est pas l’intention d’Elsa et naîtra donc Fortuna. Non désire, Fortuna est rejetée par sa mère et sera élevée par Elsa qui, cette fois, trouvera la force d’imposer à l’enfant une scolarité normale. Mais les choses ne sont pas plus simples pour Fortuna, jusqu’au jour où arrive Luce, la fille du fossoyeur. Squelettique, sale, sauvage, elle est très vite exclue par les écoliers et se retrouve associée à Fortuna. Toutes deux en manque d’amour maternel et ancrées dans des univers familiaux atypiques, elles deviennent vite inséparables. Déjà, à douze ans, Luce dupait la mort en maquillant et redonnant forme aux cadavres pour assister son père. Un amour fusionnel va unir les deux adolescentes mal aimées.

Valentina d'Urbano Acquarena« Tu es courageuse de m’aimer, moi que personne n’aime, ou presque. Il est facile d’aimer les gens que tout le monde aime. Être aimé vous rend beau. Mais il faut du courage pour aimer ce dont personne ne veut. »

Avec Acquarena Valentina d’Urbano déploie une puissance évocatoire remarquable de cette amitié. Cette seule chaleur qui enrobe ces deux âmes dans ce village obscur et gelé, sous le poids d’un lac aux eaux sombres et de familles aux lourds passés. Et si Fortuna s’éloigne petit à petit pour continuer ses études, elle reste fortement attachée à son amie, son âme soeur, la seule qui comprend sa solitude et sa différence

« Les brumes du lac avaient poli leurs existences. Bien qu’elle n’eût que trente-quatre ans, la mère était toute ridée; quant à Lucio, il avait à la lumière impitoyable des néons, les cheveux clairsemés et gris sur les tempes. Enfin, un peu à l’écart, avec ses verres de lunettes épais, Fernando avait le dos courbé à force de s’être penché sur des lits, année après année. C’est à cet instant-là que je pris la décision de partir : je ne voulais pas finir comme eux. »

Valentina d'Urbano
Valentina d’Urbano

Dans Acquarena Valentina d’Urbano illustre le poids de la différence, du manque d’amour maternel, la difficulté de grandir dans un lieu et une famille sombres et morbides. L’ambiance est si bien campée que le lecteur sombre lui aussi dans cette lancinante noirceur des lieux et des âmes. Et il est bien difficile de sortir des eaux noires et glacées du lac de Roccachiara.

 

Illustratrice pour la jeuesse, Valentina d’Urbano, est née en 1985 dans une banlieue de Rome dont elle a fait le décor de son premier roman, Le bruit de tes pas (Philippe Rey, 2013), vainqueur du concours « Io scrittore » en Italie. Acquanera est son second roman.

Acquanera Valentina d’Urbano, Roman traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Editions Philippe Rey, mars 2015, 352 pages, 20 euros

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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