Novembre 1832 : Abd el-Kader (Abdel Kader) est proclamé sultan et khalife (il se contentera de prendre le titre d’émir) par les tribus de la région d’Oran, pour mener la lutte contre les troupes françaises d’intervention en Algérie.
Décembre 1847 : Abd el-Kader offre sa reddition au duc d’Aumale et au général Juchault de Lamoricière, obtenant de ceux-ci la promesse qu’il sera libre d’aller s’établir au Proche-Orient avec sa famille.
Février 1848 : Chute de la monarchie de Juillet. Le gouvernement provisoire républicain refuse de ratifier les engagements d’Aumale et de Lamoricière : Abd el-Kader restera prisonnier.
Octobre 1852 : Le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte se rend en personne au château d’Amboise, où est retenu Abd el-Kader, afin d’annoncer à celui-ci sa mise en liberté.

 Dés 1850, l’émir Abd al-Qadir Ibn Muhy al-Din al-Hassani al-Jazaïri (1808-1883) entame la confection d’une sorte de « manifeste », sous forme de « notes brèves destinées à ceux qui comprennent, pour attirer l’attention sur des problèmes essentiels ». Ce document sera adressé, en 1855, à Joseph Reinaud, membre du conseil de la Société asiatique et donnera lieu, trois ans plus tard, à une traduction, due à l’orientaliste Gustave Dugat, sous l’appellation Rappel à l’intelligent, avis à l’ignorant : considérations philosophiques, religieuses, historiques… Ce n’est que plus tard que, dans un souci éditorial de concision sans doute, sera retenu l’intitulé de « Lettre aux Français », qui n’est pas forcément, à nos yeux, la meilleure appellation envisageable, singulièrement dans le contexte idéologique et politique contemporain, car il peut laisser à penser qu’il s’agit d’un texte où l’ancien chef de la résistance arabe à l’occupation française eût adressé, sous forme de « lettre ouverte », des remontrances partisanes à l’envahisseur – ce qui n’est en rien le cas, la pensée parfaitement irénique d’Abd el-Kader excluant toute forme de polémique agressive en même temps que tout souci politicien.

Le plan même de la « lettre » est énoncé par l’émir lui-même en préalable à son propos :

– une introduction exhortant « à l’examen direct des choses » et blâmant « l’adoption irréfléchie d’opinions toutes faites » ;
– un premier chapitre traitant « du mérite de la science et des savants », comportant notamment « une remarque générale qui traite de la supériorité de l’appréhension par l’esprit sur l’appréhension par les sens » et faisant état d’une répartition « des sciences en deux groupes : les sciences qui doivent être l’objet d’éloges, les sciences qui méritent le blâme » ;
– un second chapitre traitant « de l’authentification de la science juridique d’origine divine » et de ce qui touche à la prophétie ;
– un troisième chapitre parlant « du mérite de l’écriture » et exposant en conclusion « la nécessité que les gens éprouvent de composer et ce qui se rattache au travail de composition » ;
– une conclusion générale proposant « une répartition des hommes en différents groupes, conformément aux sciences qu’ils possèdent, aux connaissances qu’ils acquièrent et aux diverses croyances qu’ils professent ».

 Homme érudit, ardent soufi, Abd el-Kader s’est, tout au long de sa vie, consacré à la vie spirituelle, en même temps qu’il s’attacha, durant son séjour moyen-oriental, à éditer en arabe l’œuvre de son maître Mohyiddin Ibn-Arabi, auprès de qui on sait qu’il se fit ensevelir à Damas, avant que sa dépouille ne soit – pour des raisons de sinistre publicité politique – transférée à Alger, en 1966. La lecture de sa Lettre aux Français nous révèle un homme profondément musulman, mais témoignant également d’une intense curiosité en direction des facteurs d’évolution de l’univers qui l’entoure. Curiosité n’impliquant pas approbation inconditionnelle, Abd el-Kader perçoit bien les dérives possibles de ce monde en mutation, où l’Occident – et donc la France – joue, bien sûr, un rôle primordial. Et c’est pourquoi il s’attache, avec une extrême sagesse dans l’expression, à rappeler le primat de l’esprit. Sa pensée élevée, qui témoigne d’un profond détachement vis-à-vis de la stricte conjoncture, affirme l’universalité des œuvres spirituelles et des créations humaines.

Posant l’autonomie de la science vis-à-vis de la religion, il écrit, traitant de la législation divine, que :

« les prophètes ne sont pas venus pour discuter avec les philosophes ni pour faire disparaître la science de la médecine, celle des astres ou celle de la géométrie. Ils sont venus pour rappeler que ces sciences ne doivent pas contredire l’affirmation de l’unité de Dieu, pour soumettre tout ce que renferme le monde à la puissance et à la volonté de Dieu. […] Des cas de cette espèce ne contredisent en rien ce que les prophètes ont apporté. Après avoir vu le monde, les prophètes ont simplement cherché à savoir s’il avait été créé ou s’il existait ainsi depuis toujours. S’il leur apparaît à l’évidence qu’il a été créé, que sa forme se présente comme une sphère ou comme une surface plane, que les cieux et l’espace d’en bas comportent treize étages, ou plus, ou moins, peu importe. Car, pour eux, l’essentiel est de savoir qui a fait cela. Celui qui affirme : De telles connaissances scientifiques contredisent la religion […] pèche contre la religion ».

 Si, assurément, aujourd’hui comme au temps de Napoléon III, les Français ne peuvent que trouver avantage à consulter avec humilité et sympathie les « notes brèves » de l’émir Abd el-Kader, nous avons aussi la conviction que certains coreligionnaires de l’illustre soufi trouveraient profit à s’instruire et à (re)découvrir que leur confession, bien comprise, est source de sérénité et de paix.

Un article par Henri Adoue

Abd el-Kader – Lettre aux Français (Traduction de René Rizqallah Khawam), Editions Phébus, Paris, 2007 – 216 pages, 8,50 €

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