Samedi 11 janvier. 19h30. Il fait nuit, c’est l’hiver. Unidivers a rendez-vous avec les membres d’un sound system. Où ? Sur un parking d’une grande enseigne, quelque part entre les départements 35 et 22… Ces accros des teufs et autres teknivals s’apprêtent à lancer une free-party illégale. Récit d’un événement peu conventionnel qui s’est tenu à Québriac comme il s’en déroule chaque mois en France.

Quelques derniers clients se pressent sur le parking en direction de leur véhicule. Nous sommes une vingtaine environ. A taper du pied sur le goudron pour se réchauffer. Bientôt les derniers lampadaires aux lumières blafardes s’éteignent. Pour tromper l’attente d’un fourgon retardataire, le groupe discute en fumant des cigarettes et en buvant des bières. Tout le monde se connaît, l’ambiance est bon enfant. Tous sont jeunes : les cadets ont 21 ans, les plus âgés 28. Chacun occupe un rôle précis dans l’organisation : une dizaine sont des DJ’s, certains des « lighteux » (responsables des lumières), d’autres s’occupent des vidéos, des décors, etc.

Le groupe en profite pour expliquer leur manière de fonctionner : « Il y a un an, on était encore une association enregistrée parce que l’on pensait pouvoir obtenir des avantages. En fait ça ne sert à rien, dès que les gens entendent le mot “teuf”, officielle ou non, ils nous refusent. Même avoir des préservatifs et des éthylotests gratuits pour faire de la prévention, ça nous a été refusé. » Dernières consignes avant le départ : « Quand on arrive sur le site, on devra passer devant une habitation, surtout il ne faut pas qu’ils préviennent les flics avant qu’on ait monté le son ; alors quand on arrive, on roule phares éteints et à vitesse réduite, compris ? ».

La petite quinzaine de véhicules s’ébranle sur les routes départementales. Il y des camions qui servent à tout : lieux de vie, véhicules, transporteurs ; à cela s’ajoutent quelques voitures. Dans le camion qui nous emmène, la musique qui s’échappe de l’autoradio n’a rien à voir avec de la techno : plutôt rock et reggae. On sent que les membres de l’organisation sont parcourus par sensation grisante d’être dans l’illégalité et de partager un secret à quelques-uns sur les routes. Un vent de liberté un soupçon exalté souffle sur le convoi.

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Arrivés sur les lieux, le site choisi par les organisateurs s’avère le zoo de Québriac – abandonné depuis 2006. De nuit, les anciennes cages des animaux se dressent de manière fantomatique dans une nuit baignée par une lumière lunaire. L’emplacement est assez magique, on accède au hangar retenu par une allée couverte par du lierre. Les membres du sound system s’activent : il faut décharger les camions le plus rapidement possible et monter les enceintes, le groupe électrogène… Le lieu a été repéré par un jeune homme de la région qui a pris quelques photos et les a envoyées au groupe. Enthousiasmés par la grandeur du lieu, trois membres du son ont fait le déplacement plusieurs fois dans la semaine pour repérer et déblayer le hangar. Dans le plus grand secret. Le mur de son prend peu à peu forme grâce au travail des individus présents. La scène ressemble a une ruche étonnamment silencieuse éclairée par quelques lampes torches éparses.

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Le public a été prévenu du lieu de rendez-vous par infoline : c’est Tinténiac, ville voisine. Dès que le site est prêt, les organisateurs ont prévu un convoi pour faire arriver le plus de monde possible sur les lieux d’un coup afin d’empêcher une intervention des forces de l’ordre. Mais l’information sur le lieu du déroulement de la free circule plus vite que prévu, le public arrive sans que les organisateurs aient fini de préparer. On pare au plus pressé et l’organisation se termine un peu dans la précipitation. Il est environ 23h, la soirée commence à peine. Une file de voitures attend à l’entrée, presque 250 véhicules. Des rumeurs circulent : la police serait sur le lieu du RDV, ils auraient suivi le convoi. Difficile de démêler le vrai du faux. Toujours est-il que des gendarmes viennent rapidement pointer leur nez à l’entrée du site. Ils resteront sur place toute la nuit.

Les automobilistes sont acheminés vers des parkings et invitées à donner un petit quelque chose à l’entrée, pratiquant le principe du prix libre. Certains donnent jusqu’à dix euros par véhicule et ajoutent au pécule quelques bières. D’autres se font prier ou ouvrent des yeux larmoyants : « on n’a pas d’argent ». Les teufeurs appellent ce rituel : la “donation”. L’argent amassé sert à payer le matériel, la location du lieu pour garder leur matériel, les amendes, l’essence du groupe électrogène…

La soirée commence petit à petit, le public découvre le lieu, en prend possession. Bientôt ils sont plusieurs centaines à taper du pied dans le hangar. La musique de ce sound system est réputée être de la techno hardcore. Il ne s’agit guère de la plus douce musique existante… y compris dans le milieu habituel de la techno. Les organisateurs avaient prévu d’être dans un hangar, autrement dit un lieu clos. Ils ont donc monté un mur un peu moins important, car la forte résonance des murs entraîne une amplification de la musique. Bien que relativement inécoutable seul, la techno hardcore suscite une espèce de catharsis collective. Un lien avec les tragédies antiques ? Laissons la question en suspens. Il n’en reste pas moins que cette teuf comme bien d’autres fait figure de lieu-rituel libertaire où l’on abolit toutes les règles et normes de manière éphémère.

teuf, rave, free-party, québriac, techno, tecknivalLa solidarité est aussi présente que la notion d’entre-aide. Un ami du groupe est venu faire des crêpes et des galettes. Il ne vit plus que de ce commerce en écumant les free-party de la région. Les prix sont peu élevés, il faut dire… qu’il ne paie aucune taxe. Le succès est assuré pour lui – sur un événement de petite ampleur comme celui-ci, il est sans concurrence.

Durant la nuit, les teufeurs arpentent le site, se l’approprient. Ils passent du hangar au parking, explorent d’autres bâtiments abandonnés. Le tout dans une bonne ambiance générale soutenue… par quelques substances illicites. Néanmoins, le teufeur ce soir-là reste des plus classiques. La drogue la plus répandue est la plus universellement consommée : l’alcool.

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Les organisateurs ne dénombreront qu’un seul incident pendant la nuit : une jeune femme s’est cassé les dents en tombant. Les pompiers l’ont évacuée. Contrairement aux événements légaux, aucun dispositif de sécurité ou de prévention n’est déployé sur ce genre de manifestation. Le risque d’un déroulement dramatique au moindre incident est réel. Tout s’est bien passé à Québriac, mais rien ne préjuge de l’avenir…

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Au petit matin, le site révèle toute son originalité : les anciennes structures d’un zoo totalement à l’abandon. Le lierre, les herbes hautes et les feuilles mortes ont envahi les anciennes cages. On s’interroge sur l’intérêt de telle ou telle structure : qui l’habitait : un boa ? un singe ? un lion ? Et cette piscine a-t-elle abrité de gentilles otaries ou de terribles alligators ? L’un des organisateurs confie : « On cherche des lieux inattendus, les teufs dans les champs, les gens en font souvent, ils se lassent à la fin. Lorsque l’on trouve des lieux splendides, c’est la touche en plus qui confère à une teuf sa dimension magique. »

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La fin de la fête se corse un peu, les policiers font pression pour arrêter le son, les organisateurs se voient contraints de céder vers 14h. La musique cesse et l’un des organisateurs est emmené par la police. Selon les gendarmes, aucune plainte des riverains n’est à relever, le lieu était suffisamment loin des habitations et suffisamment isolé au plan sonore. Par contre, le propriétaire du zoo est passé le dimanche matin. Il était très en colère contre l’occupation illégale de son terrain. À la sortie, les policiers procèdent aux contrôles classiques : permis et test d’alcoolémie, mais ils ont aussi des chiens pour trouver d’autres substances. Sur place, d’autres problèmes ont cours, les voitures sont embourbées dans les parkings improvisés, certaines mettront presque 2h à s’extirper de la boue, laissant derrière elles un terrain lacéré de traces de pneus.

À notre départ vers 15h, ce dimanche 12 janvier 2014, de nombreux teufeurs restaient encore sur place. Les membres du sound system n’avaient pas prévu de partir avant d’avoir entièrement nettoyé le site.

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