Le faux documentaire Taxi Téhéran met à nouveau en lumière le talent et le courage du cinéaste iranien Jafar Panahi. Il est l’auteur de plusieurs courts et longs métrages sélectionnés et primés dans plusieurs festivals européens (Cannes, Berlinale, Mostra) et un haut représentant de ce que l’on appelle la nouvelle vague iranienne. Dans une société contrôlée par un pouvoir religieux féodal, Jafar Panahi appuie là où ça fait mal : inégalités, absence de liberté, condition des femmes et, de facto, le poids abusif de la religion dans le quotidien.

 

taxi teheran jafar panahiTourner un faux documentaire sur le quotidien des Iraniens à travers un taxi constitue évidemment dans l’Iran actuel le meilleur moyen de se faire des ennemis. Pour exemple, les mollahs ont interdit la diffusion de « Hors jeu » primé à Berlin qui met en scène des Iraniennes assistant clandestinement aux matches de football qui leur sont en principe interdits. Censure sans effet, bien sûr, car des copies de différents films circulent clandestinement en Iran. Pour contourner les entraves qui lui sont opposées, le cinéaste est contraint d’user de subterfuge (notamment l’emploi d’une double équipe de tournage).

taxi teheran Des conditions qui confèrent à son cinéma un aspect concentré débarrassé du superflu. Arrêté à plusieurs reprises, empêché de se rendre à l’étranger dans les festivals qui l’invitaient, il est contraint en 2010 d’entamer une grève de la faim avant d’être libéré sous caution. De plus, il lui est interdit de tourner et de réaliser un film pendant vingt ans…

 jafar panahiEn réponse, il tourne clandestinement et devient l’acteur et le sujet de ses films dans « Ceci n’est pas un film » coréalisé avec Mojtaba Mirtahmasb : il y raconte sa vie de cinéaste interdit de cinéma. Avec des moyens limités, caméra numérique et parfois iPhone, Jafar Panahi poursuit son combat – ce qui lui vaudra en 2012, à lui et à une autre opposante, l’avocate Nasrin Sotoudeh, le Prix Sakharov. Après l’Ours d’argent du meilleur scénario pour « Pardé » en 2013 , c’est l’Ours d’or qui lui est décerné pour Taxi Téhéran au Festival de Berlin en 2015, prix qu’il ne peut recevoir car il est toujours interdit de sortie du territoire…

De la conduite des taxis considérée comme l’un des beaux arts

jafar panahiActeur pivot plus que central, Panahi assène dans ce film à la fois documentaire et saynète (même si l’essentiel se déroule dans un taxi et dans la rue) un réquisitoire sans appel contre la bêtise ambiante et l’intolérance. Au fond c’est presque d’une confession sur un mode péripatécien qu’il s’agit : confession d’un pays, d’une société qui tôt ou tard se libérera.

taxi teheran jafar panahiDébat sur la peine de mort, petits trafics qui montrent toute la limite de la censure, testament filmé pour essayer de protéger une veuve, superstitions, le film enchaîne avec aisance les sketches jusqu’au final qui signe l’échec de la répression. La poésie et l’humour ne sont jamais loin. Les recommandations concernant le cinéma conformes au régime, énoncées dans la bouche d’une enfant prennent une saveur particulière quand le simple fait de porter une cravate, de ne pas s’affubler d’une barbe, de donner à ses enfants des prénoms autres que ceux des prophètes sont des interdits mais aussi des modes de résistance et de reconnaissance.

taxi teheran filmSi d’aucuns s’interrogeaient à la fin du siècle précédent sur le décès du 7e art, le cinéma qui recherche la vérité du réel n’est certainement pas mort. Voir Taxi Téhéran ne rime pas seulement avec passer un bon moment, mais avec cautionner la lutte contre la bêtise, l’inculture et l’intolérance.

Titre : Taxi Téhéran
Titre original : تاکسی
Réalisation : Jafar Panahi
Scénario : Jafar Panahi
Production : Jafar Panahi
Compagnies de production : Jafar Panahi Film Productions
Durée : 82 minutes
Pays de production : Iran
Dates de sortie :
Allemagne : 6 février 2015 (Berlinale 2015)
France : 15 avril 2015
Belgique : 22 avril 2015

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Marc Gentili
Marc Gentili vit à Rennes où il exerce sa mission de médecin anesthésiste. Il est passionné par les sciences humaines et le cinéma.

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