Le premier numéro de la revue Faros, fruit d’un financement participatif, vient de paraître. Plusieurs artistes-collaborateurs et Unidivers seront présents à la soirée de lancement le 19 novembre chez notre partenaire Lendroit Éditions (Rennes). Cette revue biannuelle, sur le paysage, le territoire et la création contemporaine, a choisi pour ce numéro le thème de la montagne. Compte-rendu.

 

Nous ne sommes pas de ceux qui n’arrivent à penser qu’au milieu de livres, sous l’impulsion des livres. Nous avons pour habitude de penser au grand air, en marchant, en sautant, en escaladant, en dansant, de préférence sur des montagnes solitaires. (Nietzsche)

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« Somme de subjectivités » : cette revue s’attache, selon les termes de son directeur de publication, Lohengrin Papadato, « aux regards, aux réflexions et à la multiplicité des formes proposées par des créateurs, plasticiens, photographes, théoriciens, et auteurs contemporains ». Transdisciplinaire, donc, Faros se pose formellement en « objet éditorial ambitieux ». Héritier dans sa forme de la revue Ithaac, Faros propose par un design graphique sophistiqué – desservi par une impression numérique imparfaite – de croiser entrevues, photographies, dessins, textes littéraires et universitaires, mais aussi rapports du curateur sur des expositions et des installations.

Le thème de la montagne présente un triple intérêt : tout d’abord, il interroge un rapport symbolique de l’homme à son environnement, environnement religieux, mais plus généralement sacré, une terra incognita où sont projetés peur de l’inconnu, démesure de la nature, fantasmes et folies de la conquête, etc. ; de fait, cette charge symbolique a depuis longtemps constitué une inspiration pour les artistes et une source de réflexions pour les théoriciens. Enfin, la montagne véhicule des représentations, en conditionne certaines : leur archéologie permet, dans cette perspective, de soustraire à l’histoire des arts une évolution, des ruptures, des conflits. Après l’édito, la revue s’ouvre sur un article de Justine Balibar sur « L’invention de la montagne au 18e siècle » — l’intervenante termine un doctorat de philosophie sur l’esthétique des paysages réels – invention paradoxale qui trame un fil rouge jusqu’à la réinvention de la catégorie du sublime à la fin de ce siècle. Tout naturellement, pourrait-on dire, succède à cette entrée universitaire un texte de Pierre Giquel, interprétation libre du travail de Charles Coturel, « La Chute du Romantisme ou le cauchemar de Caspar David Friedrich » : au romantisme sublime de l’œuvre de Friedrich, où la représentation achoppe sciemment face à « l’échec de la faculté de présentation » (Lyotard), s’appose avec le temps l’idée d’un romantisme malade, sclérosé, voire carrément coupable. Charles Coturel déplace le peintre allemand de son contexte pour le replacer dans le nôtre.

farosPeu à peu, au fil des pages, une conception de la montagne se dresse : lieu physique, naturel, la montagne cristallise aussi les représentations de l’homme confronté à une altérité radicale. L’article d’Alice Bonnissent sur « Les Ascensions de Werner Herzog » questionne, à ce titre, les figures du champion et de l’alpiniste chez le cinéaste, lequel dessine en creux, aussi, le portrait d’un réalisateur limite, extrême.

Si la montagne se transforme peu, ou alors sur une échelle longue, les hommes la transforment, physiquement, par l’aménagement du territoire ou le tourisme, ou mentalement, par les représentations qu’ils en font. Faros nous présente les travaux de nombreux artistes contemporains, parmi lesquels Élodie Brémaud, Arnaud Teicher, Angélique Lecaille, David Picard, Simon Thiou, Rémi Duprat, Françoise Vanneraud ou, encore, Gabrielle Decazes. Exposées de manière subjective par un auteur, leurs œuvres, en plus de donner un panorama singulier de la création contemporaine, offrent une diversité tant du point de vue médiatique – photographies, sculptures, performances, pièces sonores, dessins, etc. – que thématique. Si l’on touche parfois au Land Art, on retrouve surtout plusieurs leitmotiv, comme l’investissement de la montagne par les références croisées, le topos de l’artiste marcheur, du promeneur solitaire, l’élaboration formelle de l’idée de montagne dans ce qu’elle a de conique et d’iconique.

faros_quatrièmeLa fiction trouve dans la revue un espace conséquent, avec la traduction par Marine Combes d’une nouvelle de Craig Thomson et d’un texte de Robin Garnier-Wenisch. Le premier traite d’une situation pour le moins absurde : Gordon Gordon raconte son travail pour exécuter le « dessein d’un certain artiste, profondément respecté, et maintenant profondément mort, de réduire une montagne en poussière ». Contemporaine dans sa charge polémique, mais aussi elliptique dans sa manière de subsumer en une nouvelle une conception séculaire de l’art, Gordon Gordon et la Montagne décrivent la destruction progressive de la montagne, les assauts des sauvages et la protection des « Gardiens de l’Art ». La nouvelle de Robin Garnier-Wenisch et Les terres gelées d’Ismen Fulbert font en quelque sorte culminer les tendances générales de la revue dans un récit fouillé, délirant, qui recoupe tout aussi bien la topographie de la montagne que son influence sur l’homme.

Faros a réussi un pari, celui de faire une revue d’art contemporain accessible et pluridisciplinaire. La maquette, portée par le design graphique de Romaric Fargetton, participe à cette réussite : chaque participation, qu’elle soit iconique ou textuelle, est consciemment mise en valeur. L’équilibre et le commerce entre les œuvres génèrent un confort de lecture qui n’exclut en aucun cas la verticalité de la réflexion. Pour notre plus grand plaisir, les collaborateurs de Faros en font toute une montagne : de quoi nourrir notre réflexion avant la sortie du deuxième numéro, au printemps.

Faros Facebook Faros Revue
Courriel : farosrevue@gmail.com
Format 24.16 cm. 116 pages
Cyclus Offset 115 g/m2 pour l’intérieur
Cyclus Offset 300 g/m2 pour la couverture
Dos carré collé
Prix public : 15,00 euros

À noter que la revue Faros sera accompagnée sur ses événements et ses lancements de trois sérigraphies réalisées avec des artistes présents dans ce premier numéro : Charles Coturel, Gabrielle Decazes et David Picard. Ce sont des estampes tirées à 50 exemplaires, numérotés, d’un format de 70 par 50 cm.

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