« J’aborde la musique par les moyens dont je dispose, les images et les mots. » Mélanie Fazi est une artiste touche-à-tout. À la fois écrivain de l’Imaginaire, traductrice, chroniqueuse musicale pour différents webzines, ses travaux ont été plusieurs fois primé par différents prix littéraires (Grand Prix de l’Imaginaire, Prix Merlin, Prix Masterton). elle dévoile une autre facette, celle de la photographie avec l’exposition « Portraits ». L’occasion pour nous de converser avant sa venue sur Rennes…

 

Unidivers – En guise de préambule et parce que ton travail d’écrivain est celui le plus visible de la part du public, serais-tu en mesure de nous dire d’où t’es venue l’envie d’écriture ?

Mélanie Fazi – Elle a toujours plus ou moins été là, comme c’est souvent le cas. J’ai appris à lire et à écrire très tôt, j’ai été tout de suite une lectrice boulimique et l’envie d’inventer mes propres histoires est apparue en même temps. Plus précisément, j’ai toujours eu une fascination pour tout ce qui touche à la création sous toutes ses formes : écriture, dessin, musique, ou même jeu vidéo. J’ai abandonné le dessin à l’adolescence parce que mes propres limites me frustraient, et je n’ai jamais été douée pour la musique. Mais à 17 ans, je me suis mise un peu plus sérieusement à écrire des nouvelles fantastiques, parce que j’en lisais beaucoup à l’époque, et je m’y suis tout de suite sentie à l’aise. De manière générale, j’ai toujours trouvé plus facile d’exprimer certaines choses à l’écrit qu’à l’oral, notamment quand je veux partager un enthousiasme — j’ai participé à différents sites ou webzines pour écrire des chroniques d’albums, de films ou autres.

— Au niveau de la forme justement, outre Arlis des forains (Prix Masterton 2005) et Trois pépins du fruit des morts (Prix Merlin 2004) qui sont des romans, la majorité de tes productions sont des nouvelles, comment t’es venue le goût pour ces formes courtes ? Est-ce un choix qui se marie mieux avec le fantastique ?

Avec le temps, je m’aperçois que ce qui m’intéresse dans un texte, c’est moins de développer une histoire que de poser une ambiance et de créer des images fortes. Me concentrer sur une scène, une situation, mais lui donner de ce fait beaucoup plus d’impact. J’aime ce côté condensé, précis, et aussi le fait de pouvoir suggérer les choses plutôt que de les décrire en détail. Si je peux faire exister un personnage en quelques phrases et lui donner immédiatement une présence forte, ça m’amuse beaucoup plus que de passer dix pages à raconter son histoire. J’aime aussi l’impression de vertige que laisse la fin de certaines nouvelles, qui se terminent pour ainsi dire par des points de suspension. Je trouve effectivement que ce format se prête parfaitement au fantastique, qui joue souvent sur la suggestion et l’incertitude. Je me suis mise à la nouvelle un peu par hasard, parce que j’en lisais à ce moment-là, et c’est un format que j’ai tout de suite trouvé naturel. J’ai écrit deux romans, mais c’est un processus que je maîtrise beaucoup moins. Ne pas pouvoir englober tout le texte d’un seul coup d’oeil comme je le fais pour les nouvelles me désarçonne un peu. J’aime savoir où je vais et y aller selon une trajectoire bien droite, rapide et précise.

— Un autre pan de tes activités est la traduction (avec entre autres la traduction des livres de Clive Baker, Graham Joyce — qui t’a valu le prix Jacques Chambon de la traduction en 2007 ou encore Brandon Sanderson) cela influe-t-il sur ton propre travail autant au niveau du style que des références ?

Au niveau des références, non. Les livres que je traduis sont souvent très éloignés de mon univers, à quelques exceptions près (ceux de Graham Joyce par exemple), donc ils pourraient difficilement m’influencer. Par exemple j’adore ce qu’écrit Brandon Sanderson et je prends beaucoup de plaisir à le traduire, mais je serais incapable d’écrire ce genre de pavés de fantasy épique. Au niveau du style, traduire revient à faire mes gammes au quotidien même quand je ne suis pas en train d’écrire. En traduisant, je travaille sur le rythme, les sonorités, le vocabulaire, je décortique des textes en détail, j’observe une manière d’écrire et de construire les textes qui est souvent différente de la mienne. De manière subliminale, ça rejaillit forcément sur ce que j’écris. Je ne l’ai constaté directement qu’une seule fois : j’ai écrit une nouvelle au rythme assez particulier, un peu scandé, qui rappelait le rythme de certains passages d’un roman que je venais de traduire. On me demande souvent si je n’ai pas peur d’être influencé, mais c’est tout le contraire. J’ai plutôt peur de tourner en rond sans réussir à me renouveler, alors toute influence extérieure qui peut m’en faire dévier est bonne à prendre. Même quand j’essaie d’écrire « à la manière de », ça finit toujours par ressembler à mes textes précédents.

— On te découvre également anthologiste et traductrice d’un recueil de textes de Lisa Tuttle Ainsi naissent les fantômes (Grand Prix de l’Imaginaire 2012) comment est né ce projet ?

Les éditions Dysopia avaient eu l’idée de proposer le même projet à plusieurs traducteurs : choisir un auteur qui nous est cher, sélectionner des textes, les traduire puis les préfacer. Quand ils m’ont proposé d’être la première à tenter l’expérience, j’ai tout de suite pensé à Lisa Tuttle. Je l’ai découverte à l’adolescence et c’est en grande partie grâce à elle que j’ai commencé à écrire des nouvelles fantastiques. Son recueil « Le Nid » en particulier avait été un choc. C’était la première fois que je me trouvais confrontée à ce genre de fantastique intimiste et insidieux dont les personnages nous ressemblent de manière troublante, jusque dans nos défauts. Je lui ai d’ailleurs dédié mon premier recueil Serpentine. Lisa n’avait pas été traduite en France depuis dix ans (le fantastique étant considéré comme trop peu vendeur), et je savais qu’il restait pas mal de textes inédits, dont certains m’avaient impressionnée. J’en ai repris plusieurs dans ce recueil. Comme j’étais en contact direct avec Lisa, elle m’a également suggéré des textes plus récents que je ne connaissais pas. L’idée était de présenter un recueil court, mais dont chaque texte soit un coup de poing. Ça a été une très belle expérience, ne serait-ce que d’avoir pu faire découvrir un de mes auteurs préférés à des lecteurs qui ne la connaissaient pas.

— En revenant sur tes propres écrits, on y trouve une forte musicalité ou bien des références musicales qui sous-tendent tes récits. En suivant ton actualité sur ton blog, la musique semble être un élément majeur de ton quotidien. Quel rapport entretiens-tu avec celle-ci ?

Elle occupe une place centrale dans ma vie depuis longtemps. Je peux être assez obsessionnelle dans mon rapport à un artiste ou un album. Ce n’est sans doute pas un hasard si la musique me fournit souvent l’inspiration d’un texte : par exemple une ambiance ou des paroles vont m’inspirer une image autour de laquelle je vais développer une nouvelle. Assez logiquement, je vais ensuite me passer en boucle la musique en question pendant que j’écris le texte auquel elle a donné naissance. J’ai écrit plusieurs fois sur le sujet, pour essayer de faire comprendre ce qu’elle représente exactement pour moi. Ma nouvelle « En forme de dragon » parle de l’inspiration née de la musique, « Matilda » essaie de retranscrire les émotions fortes qu’on peut vivre pendant un concert, quand on se trouve face à une personne qu’on admire et qui fait partie de notre mythologie personnelle. Plus récemment, j’ai développé aussi une fascination pour la photo de concert : essayer de capturer des ambiances, des moments, des expressions, essayer en quelque sorte de mettre la musique en images. Je crois que j’ai une vague frustration de ne pas être capable de faire de musique moi-même, alors je l’aborde par les moyens dont je dispose, les images et les mots. D’autant que j’ai maintenant la possibilité de le faire à travers des chroniques et des photos sur le webzine Le Cargo auquel je participe depuis quelques années.

– C’est d’ailleurs à l’occasion de ton exposition Portraits que nous pourrons voir certains de tes clichés (du 6 avril au 2 mai prochain au Dahlia Noir, 18 quai Emile Zola). D’où te vient cet engouement pour la pratique photographique et dans quelle condition travailles-tu avec cet autre médium ?

Affiche Portraits

Cet engouement m’est venu sur le tard et il est intimement lié à la découverte de la photo numérique. Je m’étais vaguement essayée à l’argentique, mais ça ne me convenait vraiment pas : attendre deux semaines pour découvrir que toutes les photos de ma pellicule étaient ratées me décourageait plus qu’autre chose. Alors qu’au contraire, voir en temps réel ce que je faisais m’a permis d’ajuster et de progresser plus vite. J’ai commencé par des photos de vacances il y a huit ans, avec un petit compact que mon père m’avait donné, et je me suis prise au jeu. Je pense qu’il y a eu en grande partie un effet d’émulation, parce que j’ai dans mon entourage plusieurs excellents photographes, notamment dans le domaine des photos de concert. Voir leur travail sur Flickr, échanger avec eux, me donnait encore plus envie de progresser. Je suis passée d’un compact au suivant, puis au reflex. Je me suis beaucoup entraînée à faire des portraits d’amis et collègues dans les salons du livre et j’ai découvert que j’adorais ça : essayer de capturer une expression typique, quelque chose de beau chez la personne que j’ai en face. Et puis je me suis mise à la photo de concert qui est un exercice assez difficile, mais passionnant. Le résultat dépend beaucoup des conditions : placement, lumière, le matériel qu’on utilise, et la possibilité ou non de prendre des photos discrètement sans déranger les gens qui nous entourent. J’aime particulièrement suivre un groupe ou un artiste sur plusieurs dates et essayer de produire des photos différentes à chaque fois. J’ai tendance à préférer les salles petites et moyennes, les concerts plus intimistes, et à faire des plans rapprochés plutôt qu’à chercher du spectaculaire. Plus récemment, j’ai commencé aussi à prendre des photos posées de musiciens, soit pour illustrer des interviews pour Le Cargo, soit pour accompagner des sessions vidéo. Une grande partie des portraits de mon exposition viennent de là.

– Cette exposition est une grande première, comment s’est-elle mise en place ?

L’initiative est venue du Dahlia Noir. Ils connaissaient mes photos et ont eu l’idée de me proposer une signature associée à une exposition. On s’est assez vite mis d’accord sur le thème des portraits. J’ai choisi de mélanger des photos provenant de différents contextes : musique, édition, photos de famille. Certaines datent de quelques années, d’autres ont été faites spécialement pour l’exposition. Certaines sont des photos posées, d’autres des clichés pris au vol. Mon principal critère, c’était qu’elles puissent fonctionner comme portraits une fois sorties de leur contexte. C’est la toute première fois que j’expose, la première fois aussi que j’apprends à préparer des photos pour l’impression. Une expérience intimidante, mais passionnante. Je crois que je ne me rends pas encore bien compte de ce que ce sera de voir ces portraits exposés.

– Quels sont tes projets en cours et ton actualité à venir ?

Je prépare un troisième recueil de nouvelles, mais à ce stade je ne sais pas encore quand il sortira. Sinon, je publie ma prochaine nouvelle en mai, dans une anthologie consacrée aux anciens « Coups de coeur » des Imaginales d’Epinal, à paraître chez ActuSF. La nouvelle s’intitule « Trois renards ». Je serai également présente aux Imaginales cette année. Pour le reste, j’ai des nouvelles à écrire pour des commandes, des traductions en cours, et pas mal d’autres activités plus ou moins liées à l’écriture (je participe notamment au jury d’un concours de nouvelles).

Infos pratiques :
Mélanie Fazi sera en rencontre/dédicace pour le vernissage de son exposition Portraits au Dahlia noir le 6 avril à 20h.
Le Dahlia Noir, Bar Culturel-Librairie, 18, quai Emile Zola, 35000 Rennes

 
 
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