Château-Rouge Hôtel, la vie vue du côté de l’accumulation des désastres.

 

Alors… je vais continuer mes histoires comme sans savoir mon chemin. Vagabondage. Verra bien où on arrive. Un roman finalement tel que j’en avais conçu l’idée initiale… témoin crypté d’un parcours aux destinations hasardeuses, comme une aventure, comme un pari, qui peut échouer et ne mener à rien… p. 90

Le pari de Renaud Burel est. Son but ? Écrire, écrire, s’écrire… Mérité le « blason », plus encore que le nom d’écrivain. Le blason épuré, sans les breloques du « métier », sans les idolâtries du «sacerdoce ». Sa vie fut la matière de son œuvre, mais Renaud Burel, lui qui rencontra et correspondit avec Debord, sentait bien que sa vie n’était pas que ça. Que sa vie était la vie, il évite sans sembler le savoir le mensonge romantique pour oeuvrer à une vérité romanesque.

Dans l’ennui de la piaule d’hôpital et la solitude du soir, l’ordi sur la table devenait comme une personne à qui parler. Comme un miroir aussi, un miroir aveugle dans lequel j’étais un fantôme privé de reflet. Alors je l’ai rallumé. J’ai mis un bon quart d’heure à comprendre qu’il fallait ouvrir un dossier pour retrouver devant moi la page blanche, éternelle putain chérie et rebelle qui s’offre et se refuse à tous. p. 73

Renaud Burel n’est plus. Grand mélancolique tragique, il s’est consumé dans la folie de son pari, plus shakespearien que pascalien… Mais au cœur de l’obséquiosité vaine et dérisoire d’une rentrée littéraire aussi morne que ses illustres devancières, c’est d’un punk sans afféteries ou idéologies que nous vient le cri-écrit le plus exaltant. C’est d’un punk autant personnaliste que malheureusement alcoolique et frontalement existentialiste qu’émerge la vie dans un microcosme littéraire français sclérosé… d’un punk mort d’avoir trop voulu vivre pleinement. Décidément, rien ne change…

J’ai tapé sur l’épaule de l’ordinateur, merci ange électronique, et je l’ai laissé se rendormir. Et voilà. Un texte. Un tout petit mais un bien à moi. Un tout petit bout de réel transmuté par la parole d’une chanson en un tout petit morceau de songe. Il suffisait donc après tout de commencer et d’aller simplement jusqu’au bout de quelque chose. Être à la source, aplanir son chemin, et puis… que la source donne une larme, un ruisseau, un torrent, un fleuve… Seine, Volga, Amazone, Gulf Stream, Voie Lactée… qu’importe pourvu que coule l’eau de vie et que vienne l’ivresse. p. 76

Avec Château-Rouge Hôtel c’est le flot impétueux d’une vie prise dans un incendie frénétique d’amour chaotique et brisé qui vient s’écouler flamboyant et fébrile. Auto-immolation, auto-consumation personnelle qui pourtant (ou peut-être justement) laisse vivre d’une vie libre l’infant intérieur  :

Avoir onze ans c’est en savoir plus sur le paradis perdu que sur la réalité des choses. Le peu que l’on a revêt des importances démesurées, les absences sont cosmiques. Rien n’est relativisé. Les petits ne savent pas combien leur coeur est grand quand la violence de leurs émotions les submerge. Leur âme est collée au monde. p. 76

Ci gît l’écrivain

C’est sans doute là ce qui définit le mieux ce texte de feu. L’humilité et la sincérité alliées à un regard analytique sans concession sur soi. Si le terme de « roman initiatique » n’était pas si galvaudé, il faudrait l’employer ici avec conviction (et pas seulement parce que Renaud Burel, intéressé par les doctrines orientales, s’était défini comme un « chrétien pas très catholique »). Qu’aurait atteint Renaud Burel s’il était resté en vie. Si ce roman n’avait pas été, au sens propre, l’aboutissement de son existence ? Sa famille a attendu la parution du livre pour faire « écrivain » ajouter à son épitaphe. Il l’est. Mais aurait-il pu l’être encore, après. Ou bien la charge poétique passée se serait-il apaisé pour devenir ce qu’il cherche si ardemment à être à travers toutes ces pages fiévreuses : un amoureux, enfin apaisé… L’un des ses fidèles d’amour dont la lecture l’avait (parmi tant d’autres) profondément marqué. L’ésotériste français René Guénon affirmait que toutes les âmes devaient passer par tous les états de l’Être, assumer et consumer toutes possibilités. Les plus inférieures bien sûr, les plus noires, avant que d’atteindre, sublimement, aux supérieures.

Jouer, jouer comme un gamin sérieux. Que la virgule ait quelque chose à dire, que le nom prenne et donne vie, que le point soit tambour, qu’un silence soit couleur, que le verbe me renaisse, que le sens alchimise. Que la rime me cueille à tous les coins de rue. Et que paradent les paradoxes. p. 77

Château-Rouge Hôtel Renaud Burel, éditions Allia, 2013,

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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