2e groupe automobile européen, PSA Peugeot Citroen est l’une des rares entreprises du secteur a être encore détenue par une famille. Aujourd’hui, le groupe est dans la tourmente : fermeture d’usines, départ attendu du PDG, action boursière au plus bas… Comment en est-on arrivé là après des années 2000 florissantes ? Quelles sont les conséquences possibles pour le site de Rennes ? Explications.

 

La stratégie d’alliance déployée sous l’ère de Jean-Martin Folz entre 1995 et 2005 fut une réussite. Elle est à l’origine des petits moteurs HDi, les moteurs essence turbocompressés des DS3/Mini, les citadines 107/C1/Aygo et les SUV 4007/4008/C-Crosser. Aujourd’hui, le Groupe est boudé par les investisseurs. Trop ancré en Europe (alors que Citroën fut pionnier en Chine), très en retard sur le virage de l’hybridation, le groupe souffre avec l’arrivée des deux derniers dirigeants d’une politique générale illisible et d’une relation avec les syndicats qui rappelle l’ère de Jacques Calvet (1983 à 1997). Les exemples sont nombreux qui illustrent ces carences stratégiques.

Le projet de déploiement en Russie piétine faute d’ambition commerciale (et d’un marché russe affecté par la crise). Le déploiement en Inde fait concurrence à celui de Renault… en matière de timidité. L’Amérique du Sud et l’utilisation du flex-fuel dans les motorisations et produits disponibles sont prises à la légère.

Quant à la Chine, elle bénéficie enfin de produits cohérents, mais… pas des motorisations pour les accompagner ! Le reste de l’Asie est tout simplement boudé. La création du joint-venture PSA-China Automobile Group fait figure de balle tirée dans le pied en transférant aux Chinois du savoir-faire haut de gamme. L’alliance Dongfeng-PSA se révèle aussi peu performante que les autres joint-ventures de ce constructeur de camions.

En pratique, la conduite prétentieuse du Groupe et l’arrogance française est à l’origine d’une désaffection grandissante. Tant au plan technique que commercial. Depuis quelque temps, les fournisseurs de PSA n’hésitent plus à dénoncer des contrats du jour au lendemain. Les boites de vitesse ont cessé de progresser et les boites automatiques très prisées en Asie sont sur la touche. En outre, les compétences en petit moteur essence ont fait long feu : le développement du 3 cylindres est chaotique en comparaison des dernières sorties de Ford, VAG et même, bientôt, Renault. À peine sortie, l’hybridation diesel a été abandonnée, faute de débouchés hors d’Europe et de la mauvaise image qui grève le diesel.

Bref, cet ensemble de problèmes est le fruit des décisions stratégiques qui ont été prises durant les 7 dernières années. Dès lors, un nombre grandissant de salariés, investisseurs et spécialistes considèrent que les deux derniers PDG du groupe n’ont fait montre ni d’une connaissance suffisante du monde de l’automobile ni bénéficié de bons conseils en matière de recrutements et d’investissements prioritaires. Résultat : les voilà prêts à tailler dans le vif en fermant des usines européennes, le site d’Aulnay est en sursis depuis 15 ans, Rennes a déjà fait les frais de coupes sombres avec une usine fermée et des fournisseurs maintenus sous perfusion (SPBT notamment).

Mais paradoxalement, le triumvirat dirigeant-politique-syndicat semble profiter de cette épée de Damoclès, tandis que l’ambiance dans les chaines de production et chez les prestataires n’en finit pas de se dégrader. Chez les salariés du groupe, la fermeture d’Aulnay est un secret de polichinelle puisque les autres sites s’emploient à absorber du personnel en provenance de cette usine ! Reste que la date butoir n’est pas annoncée : la direction ne dit rien, elle se tait. En période d’élection et d’arrivée au pouvoir, les politiques s’efforcent de rassurer. Quant aux syndicats, ils se font de la publicité en jouant sur la peur et l’angoisse, mais se gardent bien de formuler des propositions réalistes au profit d’une sortie en douceur. Sans calendrier, sans vision, rien ne semble plus possible alors qu’un plan d’évolution du site aurait pu être élaboré par les trois partenaires.

Pour en revenir à Rennes, depuis que Philippe Varin a signé un accord de partenariat controversé avec General Motors, la capitale bretonne est sur la sellette. Comment pouvait-il en être autrement étant donné la politique de coupes sombres que GM a instauré dans ses usines et dont Opel trinque encore ? Et quand l’on voit le peu de succès de la plateforme GM Ampera/Volt, l’avenir s’annonce sombre. Pire : cette signature entre en conflit avec un autre accord avec BMW relatif à l’électrique et l’hybride – ce qui promet de remettre en question les développements du moteur essence EP (quatre cylindres à faibles émissions de CO2). Quant au récent joint venture avec la Chine au profit du premium dont nous parlions plus haut, autant dire qu’il finit de placer Sochaux et Rennes – les deux plateformes premium françaises – dans une situation précaire. D’autant plus que PSA n’a aucun projet pour renforcer le positionnement des 508 et DS5. D’ailleurs, les derniers concepts-cars de ces deux gammes présentent des lignes bien plus inspirées par les studios de design chinois que par les bureaux de Velizy.

Au demeurant, il n’est guère possible que le groupe se sépare de deux sites en même temps. Le risque de grève générale et de détérioration de l’image de la marque est trop important (cf. l’exemple de Vilvorde pour Renault ou Forest pour VAG). De manière plus réaliste, la fermeture d’Aulnay pourrait s’accompagner d’une réorientation progressive de l’activité de Rennes. Mais pour ce faire, il faudrait que les politiques et les dirigeants du groupe établissent des rapports bien moins équivoques. Certes, cet effort incombe à Philippe Varin, mais aussi à la famille Peugeot qui tarde à prendre position, notamment, sur le soutien ou non à la politique de GM. Une clarification et une stratégie qui rassureraient tout le monde, y compris les investisseurs – clé de l’obtention de nouveaux crédits au profit de la réalisation des boites, moteurs, plateformes et technologies du futur.

Malgré les erreurs stratégiques des dernières années, le potentiel de l’entreprise reste grand. Et certainement supérieur à d’autres groupes européens. La stratégie d’alliance plutôt que de rachat a permis un important développement mais il est dommage d’avoir temporiser sur l’électrique, l’hybridation essence ou même les boites de vitesse. Le principal écueil ne réside dans le produit (jugé souvent très bon à l’état neuf) mais dans le service. En dehors de certains pays, le client ne retrouve pas le niveau de qualité nécessaire. Il en va ainsi de la Citroen C5 qui trône sur le podium devant les premium allemandes. L’image du groupe en Asie du sud-est est encore proche du premium, ce qui devrait être valorisé avant qu’il ne soit trop tard. La clé ? Non des délocalisations mais une répartition intelligente des moyens de développement et de production – ce que le groupe semble vouloir entamer. Il est donc urgent de la part de dirigeants de donner plus de lisibilité aux projets futurs. C’est la confiance dans le Groupe qui est ici en en jeu.

Nicolas Roberti

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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