Avec Passion Brian de Palma invente deux scènes inédites qui donnent au film sa raison d’être.

D’abord, il y a une confession, qui ressemble à un moment canonique de télé-réalité, où une femme blonde et lisse révèle au spectateur son secret. Elle parle d’un traumatisme lointain, d’une sœur jumelle qui lui aurait sauvé la vie au prix de la sienne. La blonde voulait voir son reflet dans une vitre, détournant ainsi son attention de sa sœur. Une femme brune écoute la confession et s’en émeut. Son émotion la change elle-même en reflet. Mais reflet de quoi ?

passion, bran de palmaLongtemps, la parole était vérité, explication des images (comme dans Pulsions, où l’analyse finale du docteur nous éclairait sur ce que nous venions de voir – et bien sûr dans Psychose de Hitchcock, dont Pulsions est un prolongement). Maintenant, ce que Passion montre bien, c’est que la parole est partie intégrante de l’image. Elle n’est plus son point critique (car désormais le faux et la dissimulation atteignent aussi la parole – on n’en est plus dupe), mais sa relance, lorsque l’image s’aplatit dangereusement. On pourrait presque parler de feu alchimique : l’image de plomb, par le feu de la parole, devient image d’or. Et le génie de Palma est de ne pas nous forcer à croire à cette transmutation.

passion, bran de palmaEn fait, cette scène de confession est la virgule du film. Elle annule ce que nous venons de voir (une chronique de la méchanceté de bureau plutôt banale) pour produire du neuf (du fantasme et du crime, des identités floues qui pourraient s’échanger). La parole ne sauvera rien, ne dénoncera rien. Le secret révélé ne sera ni faux ni vrai (on ne le saura pas), et peu importe, il ne joue pas dans ces catégories, il n’est pas une valeur, mais une machine qui redonne à l’image toute sa puissance de fascination.

« Avant je voulais qu’on m’admire, maintenant je veux qu’on m’aime », dit la blonde. On admire les images, on aime les êtres. La parole est le lapin dans le chapeau d’une image qui cherche à être plus qu’elle n’est. Une image qui cherche à se refléter en s’altérant.

Et puis il y a l’ass-cam de la publicité qu’inventent la brune, la rousse et la blonde pour un nouveau téléphone mobile.

passion, bran de palmaQue montre cette publicité ? Non pas un téléphone, mais des regards. Le téléphone a été glissé dans la poche arrière du jean de la rousse, et enregistre le regard des passants. Leur désir se lit sur les expressions de leur visage. Mais que désirent-ils ? Le cul, ou le téléphone ? La publicité crée des images à double-sens, où le désir sexuel est détourné pour devenir désir de consommation (à moins que ce ne soit l’inverse : le désir consumériste révèle un fond sexuel).

passion, bran de palmaL’image ici inventée fonctionne sur le principe d’un dédoublement ou d’un déplacement du désir. L’objet de celui-ci est non seulement confondu avec un autre, mais aussi annulé. C’est le désir qui fait spectacle, et plus l’objet. Le cul n’est pas à l’écran. Il est l’œil. Il y avait dans le cinéma de Brian de Palma beaucoup de caméras subjectives. On pourrait croire que son ass-cam en est une de plus. Or cette caméra n’a pas de regard propre. Elle se contente d’enregistrer ceux qui se posent sur elle. Là encore, le reflet est bien plus important que l’image première.

Alors que dit Brian de Palma sur l’époque ? Qu’il n’y a plus d’objets du désir, mais qu’il y a toujours du désir. Qu’il est de la propriété de l’objet du désir que de disparaître. Que l’on désire plutôt la disparition de l’objet que l’objet lui-même. Et que tout est devenu désir sans attache, sans incarnation possible, fantôme libidineux errant dans les couloirs froids des immeubles aux grandes baies vitrées n’ouvrant sur aucun paysage.

passion, bran de palmaC’est ce qui rend le désir (et à plus forte raison l’amour, qui serait comme une fixation du désir sur un objet particulier) insupportable. L’amour rend fou parce qu’il est improbable. Il ne peut y avoir d’amour que criminel. Et toute tentative de retenir l’objet du désir dans l’amour est une perte, une défaite annoncée.

Que montrait la publicité que la blonde et la brune décriaient, assises sur un canapé, face à leur Mac, avant d’inventer l’ass-cam ? Un téléphone dans un aquarium. L’amour est passager. Tout le reste est vain. Le regard a vaincu le corps.

Passion de Brian de Palma
avec
 Rachel McAdams, Noomi Rapace, Karoline Herfurth

musique de Pino Donaggio
remake de Crime d’amour, d’Alain Corneau

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Avec Passion Brian de Palma revisite Alain Corneau

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Antoine Mouton
antoine.mouton [@] unidivers .fr

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