Olivier Hodasava est un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… De cette expérience est né un premier livre, Éclats d’Amérique, paru au printemps 2014 aux éditions Inculte. Pour Unidivers, l’arpenteur – qui se fait un peu géomètre – avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord.  La latitude sur laquelle est située la ville de Rennes. Première étape : Rajka dans le Nord-Ouest de la Hongrie.

 

Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)

RAJKA, hongrie

Je suis arrivé à Rajka entre Noël et le jour de l’An. C’était un milieu d’après-midi déjà sombre. Une brume épaisse pesait sur le paysage, ôtant toute possibilité au soleil de percer. Sur une des places de village (Rajka, malgré ses 2500 habitants, peut encore être considéré comme un village) était installée une crèche presque grandeur nature. Je me suis arrêté pour la photographier.

RAJKA_2Plus loin sur la place, une pharmacienne en blouse blanche – l’apercevant, j’ai d’abord pensé qu’elle était infirmière ! – discutait, mains dans les poches de sa blouse sans doute à cause du froid, avec deux hommes aux allures de paysans (larges mains, vestes élimées mais épaisses, bottillons souillés de terre). Je me suis demandé de quoi ils pouvaient bien parler ainsi. Sans trop de conviction, j’ai tenté d’imaginer des activités coupables. Ou alors un drame survenu dans le coin dont ils se seraient sentis obligés d’assurer le commérage.

RAJKA_4Un peu plus tard, un peu plus loin, j’ai croisé des poubelles rouges – vraiment rouges ; rouge vif – et j’ai réalisé que je n’en avais jamais vu jusque-là de pareilles. Vers dix-huit heures, alors que je cherchais un endroit où dîner, je suis passé devant un gymnase éclairé à l’intérieur duquel de très jeunes filles s’échauffaient avant, sans doute, leur entraînement de gymnastique. L’une d’elles suspendue à un espalier, bras tendus au-dessus de la tête, jambes à l’équerre, s’est tournée vers moi, grand sourire. Elle ne paraissait pas le moins du monde marquée par l’effort. Un instant, je me suis imaginé à sa place ; j’ai lu, sur mon visage, une grimace.

Article précédentJuli Zeh, le long chemin de la modernité où s’achève la morale
Article suivantChristos Chryssopoulos, Disjonction #17, Athènes cité-ironique

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici