INCROYABLE ! C’est ce que répétait le public venu assister à cette représentation de Elena, cet opéra de Francesco Cavalli récemment exhumé. Pendant plus de trois heures, nous avons été bousculés, entraînés malgré nous dans une intrigue où les quiproquos et autres coups de théâtre ne nous ont pas laissé un moment de répit. Mais, surtout, nous nous sommes follement amusés. Éclater de rire à l’opéra, qui l’eut cru ?

 

Entendre une œuvre sortie des limbes du passé constitue une perspective des plus intéressantes – l’idée de la redécouverte est, pour un mélomane, toujours stimulante. L’opéra « Elena », qui fut créé à Venise le 26 décembre 1659 n’avait pas été joué depuis 1661 (à Palerme, pour être précis). De fait, rien de plus rafraîchissant, de plus divertissant, que cet opéra baroque au livret écrit par Giovanni Faustini. Même s’il puise ses sources dans une marmoréenne antiquité grecque, les thèmes présentés – ceux de l’amour et du désir – restent absolument intemporels. Une ambiance de Vaudeville où le comique et le tragique se suivent à un rythme soutenu et arrivent tour à tour à nous amuser et même, quelquefois, à nous émouvoir. Le succès et la qualité de cette coproduction tiennent certainement à la cohérence des différents éléments : mise en scène, musique, voix – tout est homogène, tout s’imbrique sans à coups, sans lourdeur.

La mise en scène de Jean-Yves Ruff est un modèle d’adresse. À aucun moment, le public ne se trouve perdu par la multiplicité des personnages, leur changement d’aspect (voire de sexe) ou leurs sautes d’humeur. Tout respire. Les enchaînements sont clairs et les courts moments de silence laissés par le chef Léonardo Garcia Alarcon ponctuent les scènes de cet Elena de manière transparente. Ainsi se trouve surmonté le piège habituel des opéras baroques dont les livrets touffus rendent les mises en scène dignes de l’exploit.

Les costumes de Claudia Jenatsch sont également dans le ton. Elle nous fait passer de la Geisha au soldat avec le bon goût de ne pas essayer de tirer la couverture à elle. Même remarque pour le décor de Laure Pichat. Il est simple, modulaire, et sa forme de prétoire est un clin d’œil aux amphithéâtres grecs. Comme il convient, il se met au service des intervenants et sait rester discret mais efficace.

elena franseco cavalli

La musique de Cavalli est nettement implantée dans son siècle. Dés les premières notes de Elena, impossible de s’y tromper. On pense d’emblée à Claudio Monteverdi, dont Cavali fut le disciple. Un petit hommage lui est rendu au moment où Hippolyte pleure l’amour perdu de Thésée puisque c’est quasi le texte du très fameux lamento d’Ariana qui est utilisé à cet endroit. D’une façon générale, la musique de Elena est plaisante, équilibrée et sert bien la dimension théâtrale de l’œuvre. Pas question de crier au génie, on se trouve en présence d’une œuvre dont le but est le divertissement, et mieux vaut laisser de côté tout présupposé psychologique sous peine d’être totalement hors sujet.

La simplicité de l’orchestre est assez étonnante. Loin des imposants ensembles symphoniques par ailleurs nécessaires pour bien des opéras, c’est un groupe de dix musiciens qui tiendra la scène plus de trois heures avec un réel talent. L’ensemble Cappella mediterranea, sous la direction de son chef Léonardo Garcia Alarcon, est digne de tous les éloges. Ce sera pour les néophytes l’occasion de découvrir de magnifiques instruments que sont les deux théorbes, la guitare baroque, les trois clavecins, l’orgue positif, les violes de gambe, sans oublier, cornet, flûte et instruments de percussion aux sonorités inhabituelles.

C’est un peu par gourmandise que le meilleur a été gardé pour la fin… Qu’en est-il de cette assez nombreuse troupe de chanteurs ? Première réponse, le trait commun est la jeunesse, l’enthousiasme et la profonde jubilation de chanter ensemble. Globalement, ils sont tous satisfaisants, même s’il convient de mettre en avant ceux dont le talent particulier mérite l’attention. Par ordre chronologique, citons le virevoltant Christopher Lowrey, mis à toutes les sauces dans cette œuvre et qui semblent s’en moquer comme d’une guigne. Il convient également de citer la basse polonaise Krysztof Baczyk en roi Tyndare plus vrai que nature, appuyant sa voix profonde et grave sur un physique impressionnant. Toute satisfaction est également donnée par le couple de héros Thésée et Pirithoüs, respectivement campés par le ténor Fernando Guimarães et le contre-ténor Carlo Vistoli. Impensable de ne pas évoquer l’interprétation réjouissante et bouffonne du ténor chilien Emiliano Gonzales qui ponctue ses apparitions par des gestes obscènes et érectiles accompagnés de gloussements qui ne laissent aucune place à l’interprétation…. Ces dames font aussi étalage d’un louable talent. Giula Semenzato, charmante soprano italienne, campe une irréprochable Hélène de Troie. Mais notre cœur penche un peu vers la mezzo Gaia Petrone qui interprète une Hippolyte touchante, à ne pas dire émouvante. Il n’est pas nécessaire de les citer tous, mais indispensable d’aller les écouter.

Ce sera l’occasion de découvrir celui qui, pour tout le public rennais, fut une véritable cerise sur le gâteau… Kangmin Justin Kim. Homme ou femme ? Plutôt un extraterrestre qui pendant trois actes a laissé toute une salle indécise. Habillé en femme, il ne laisse planer aucune équivoque ; lorsqu’il se met torse nu, on ne sait dire s’il s’agit d’une Asiatique à la poitrine à peine naissante ou un torse adolescent dénué de toute pilosité. Il nous oblige à un voyeurisme agaçant et sans réponse. Et sa voix ? Ceux qui n’étaient pas hier soir à ce rendez-vous baroque auront beau jeu de ricaner, la voix de Kangmin Justin Kim reste difficile à identifier. Si les aigus un peu « ronds » des contre-ténors n’atteignent pas les niveaux des voix féminines, Kangmin Justin Kim oblige à réviser les idées établies, on dirait un/une pur mezzo-soprano. Bluffant !

C’est une excellente soirée, pleine de gaieté, de découvertes, de nouveautés qu’offre l’opéra Elena. Cette re-création est une authentique trouvaille, on s’y amuse souverainement. Laisser passer une pareille occasion relèverait quasiment de la faute de goût. À vous de voir…et d’entendre.

ELENA  Francesco CAVALLI

Dramma per musica en un prologue et trois actes de Francesco CAVALLI
Livret de Giovanni Faustini et Niccolo Minato (1659)
Réalisation de la partition par Leonardo Garcìa Alarcòn, d’après l’édition de Kristin Kane
Spectacle chanté en italien, surtitré en français.
NOVEMBRE 2014 DIMANCHE 23, 16h – MARDI 25, 20h – JEUDI 27, 20h  Tarif A : de 11 à 50€

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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