Deux remords de Claude Monet ? Michel Bernard dans son ouvrage a choisi d’aborder la vie de Claude Monet avec distance et poésie. Sensibilité sans sensiblerie dans un livre fait d’impressions. Belle surprise de la rentrée littéraire.

 

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Le livre Deux remords de Claude Monet de Michel Bernard n’est pas un livre. Mais plutôt une grande toile tendue vierge et blanche. Ce roman n’est pas un roman. Mais plutôt la succession de mots posés par Michel Bernard sur la toile par petites touches comme le faisait Claude Monet pour faire ressentir une impression. Le travail de l’auteur s’apparente ici à la définition de la peinture qu’il attribue au peintre de Giverny :

ce n’est ni le temps passé, ni l’éternité, c’est l’espace et l’instant, le paysage et le temps, ce que durent des traces de pâtes vertes, bleues, jaunes et rouges répandues sur de la toile tissée serrée

Ici les mots remplacent les couleurs, mais comme le spectateur des Nymphéas au musée de l’Orangerie, le lecteur s’immerge dans une tendre et douce atmosphère pour se laisser guider et appréhender la vie intime et intérieure de Claude Monet.

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La réunion de famille, Bazille, 1867 (Musée d’Orsay)

Très éloigné d’une nouvelle biographie (celle de Pascal Bonafoux (1) est suffisamment remarquable), Michel Bernard a choisi de consacrer les trois chapitres de son ouvrage à deux remords et enfin au peintre seul. Les « deux remords », qui font étrangement songer aux « repentirs » des peintres, mais un remords ne se corrige pas, s’appellent Frédéric Bazille et Camille Doncieux.

Bazille est – avec Renoir et Sisley – l’un des amis de la période de galère, celle des débuts, celle de l’atelier Gleyre à Paris où ils apprirent à se défaire des règles de l’académisme. C’est par la mort de Bazille que débute Deux remords de Claude Monet : le peintre méditerranéen s’étant engagé à la grande colère de Renoir dès les débuts de la guerre de 1870. Ce premier volet du triptyque confère à l’ensemble du livre son ambiance et son ton. En une quarantaine de pages, l’essentiel est dit : la brièveté de la vie de celui qui aida financièrement ses amis, la part de la peinture dans sa vie, son tableau majeur, « La réunion de famille », peint dans le domaine familial de Méric (2), le tout à travers le prisme de la recherche du corps de « La Bazoche » par son père.

camille_femme-robe-verte_claude-monetLa silhouette de Monet, qui va s’épaissir, apparaît ainsi, subrepticement. Déjà le sens infaillible de la fidélité en amitié – qui clôturera les dernières pages des Deux remords de Claude Monet – est présent. Les difficultés financières et le rôle essentiel de l’argent surgissent comme parasites ou comme moteur dans la construction des œuvres des peintres complices jusque dans la misère. L’écriture, comme le coup de pinceau du peintre havrais, est légère et imagée. Elle prendra toute son ampleur avec l’amour de la vie de Claude Monet, Camille qu’il peindra dans sa robe verte, au début de leurs amours jusque sur son lit de mort. Ces années du début de la reconnaissance dans le Vexin, aux abords de Paris, sont construites autour des tableaux de cette période ; aucune œuvre n’est décrite ou évoquée et pourtant les épisodes de la vie de Claude Monet suivent son œuvre de la débâcle de glace de l’hiver 1880 à Vétheuil et Lavacourt aux images d’Argenteuil et de ses ponts annonçant l’arrivée du modernisme industriel.

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Les nymphéas, Claude Monet, 1916. Exposé à Tokyo

C’est la vie qui se déroule ainsi sous nos yeux, une vie totalement consacrée à la peinture et où l’œuvre dévoile tout. Saisir jusqu’à la perte de la vue une lumière fugace, « peindre un mélange d’eau et de ciel » pour faire « voir à travers ». Figer dans des nuages de dentelle blanche le visage éteint de son amour. Les affres de la création sont magnifiquement évoquées à travers les forces et faiblesses d’un homme qui vivra les dernières années de sa vie avec Clemenceau pour ami et « Les Nymphéas » comme objet exclusif de son existence.

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Camille sur son lit de mort, Claude Monet, 1879

En retranscrivant les journées du peintre à Giverny, accompagné de sa belle-fille, Blanche, le texte boucle la boucle. Amitié, amour, peinture. Ou peinture, amitié, amour. La barbe blanche de l’artiste devenu richissime, obnubilé par son œuvre finale, manque de brûler sous les cendres d’une cigarette. La vie s’est consumée à la vitesse des lumières éclairant des meules de foin ou des peupliers. Œuvre et existence se sont mêlées jusqu’à l’extrême dans la vie comme dans le livre de Michel Bernard.

Aucune révélation, aucune nouveauté dans ce magnifique texte, si ce n’est une évocation poétique d’une époque et d’une révolution picturale dont l’auteur maîtrise tous les aspects historiques. L’écrivain a retranscrit avec succès les états d’âme de Claude Monet. Guidé par lui, il nous donne envie de revoir les peintures de Vétheuil, d’Argenteuil, de la rue Montorgueil. Mais plus encore de retourner au Musée d’Orsay observer « Camille sur son lit de mort ». Et d’en comprendre enfin toute la beauté et la signification.

Deux remords de Claude Monet, Michel Bernard, Éditions La Table Ronde, collection Vermillon, 215 pages, août 2016, 20 €, e-book : 13, 99 €

Feuilleter les premières pages ici

(1) : Claude Monet biographie de Pascal Bonafoux aux Éditions Perrin publiée en 2007
(2) à voir actuellement au musée Fabre de Montpellier l’exposition « Bazille , la jeunesse de l’impressionnisme ». Visible jusqu’au 16 octobre 2016.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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