Dans Juliette dans son bain Metin Arditi place l’action en mai 2000. Le milliardaire Ronald Kandiotis est l’invité du journal de 20 heures. Il y annonce le don au Musée des Arts du XXe siècle de deux tableaux portant le même nom, Juliette dans son bain, l’un peint par Picasso en 1912 et l’autre par Braque en 1913. Le lendemain de cette annonce, sa fille Lara est enlevée alors qu’elle sortait de son cours de chant. L’enlèvement est très vite revendiqué par l’AVRAK, l’Association des victimes de Ronald Arkady Kandiotis.

Peut-on bâtir une fortune colossale sans blesser ? Sans marcher çà et là, non pas sur des cadavres, mais des êtres bien vivants ? Sans les heurter, ne serait-ce que malgré soi ? Où s’arrête le droit ? Où commence la morale ? Nous nous trouvons peut-être à l’orée d’un débat éthique, social et juridique.

Juliette dans son bainMais qui est Kandiotis ? Né d’un épicier turc et d’une princesse russe, il est éduqué dans un pensionnat suisse. Il reprend l’affaire familiale, la revend à son apogée en 1972 et part aux États-Unis où il fait fortune dans l’immobilier. En 1981, il revient en France avec sa seconde femme, Veronica, sculpteur américaine. Amoureux de l’art depuis sa jeunesse, il fonde en 1977 la fondation Kandiotis qui organise des Prix artistiques, offre des bourses à de jeunes chercheurs et fait des dons de tableaux aux musées.

Devenir riche est une question de travail et de chance. Rester riche est infiniment plus difficile. L’argent rend vaniteux…Les arts préservent de ce naufrage.

L’AVRAK ne demande pas de rançon, mais exige de faire paraître dans la Presse nationale au fil de leurs envois les dix textes approuvés par Kandiotis avec la mention « Telle est l’exacte vérité. » Au bout des deux mois, Lara sera alors libérée. Chaque texte dénoncera un épisode de la vie de Kandiotis, des méfaits portant atteinte à la morale.

Metin Arditi n’est pas un habitué du roman noir ou de l’enquête policière. Il en respecte pourtant ici tous les codes avec une commissaire et son supérieur très humains, passionnés de théâtre, une maîtrise du déroulement qui maintient le suspense et décrit la lente destruction d’un homme fort qui pourtant commence à douter.

Au-delà de l’enquête, l’intérêt du scénario est dans l’évolution des personnages. Le puissant Ronny, parfaitement intégré en France dans le monde de l’entreprise, généreux mécène, parfaitement entouré d’amis hautement professionnels, va petit à petit dévoiler ses failles.

Chaque jour, il lui semblait qu’ils avaient touché le fond. Puis venait le lendemain, et le fond descendait d’un cran.

Enfant et homme au physique plutôt ingrat, il souffre du dédain des femmes, sa mère en premier lieu puis ses deux épouses, qui voit en lui le confort avant la passion. Souvent ancré dans le monde des Arts, Metin Arditi nous fait ici réfléchir sur la puissance et les méfaits de la richesse.

 Est-ce qu’un ultra-riche peut ne pas provoquer ?

metin arditiLes riches attirent la curiosité, attisent l’avidité, les jalousies et les sarcasmes du peuple. Lorsqu’ils donnent, la société les accuse de le faire par intérêt, par souci de reconnaissance ou d’allégeance.

Sous le prétexte qu’il n’y a pas de fumée sans feu, une personne irréprochable (mais cela existe-t-il ?) peut sous le biais d’une révélation hasardeuse devenir la bête noire des médias et de ses concitoyens. Kandiotis n’est-il qu’un homme « dont le premier défaut a été d’être généreux de son temps et de son argent » ou a-t-il sciemment ou inconsciemment provoqué la perte de son entourage ? Kandiotis doit-il être puni pour son succès ou pour ses actions ?

Chaque lecteur aura sa propre opinion en se délectant de cette enquête magistralement menée par un auteur qui parvient à nous distraire en nous faisant réfléchir sur un sujet de société.

 

Juliette dans son bain Metin Arditi, Grasset, 2 janvier 2015, 20 euros

 

Né en Turquie, Metin Arditi vit à Genève. Il est l’auteur de nombreux romans : Victoria Hall (Pauvert, 2004, prix du Premier roman de Sablet), Le Turquetto (Actes Sud, 2011, lauréat de nombreux prix dont le Prix Jean Giono), La Confrérie des moines volants (Grasset, 2012).

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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