L’histoire de l’art lyrique se souviendra que c’est à l’opéra de Rennes que vient d’être créé L’Ombre de Venceslao de Martin Matalon.

Envoûtant, percutant, réjouissant !

 

VenceslaoTroisième volet issu de la collaboration entre plusieurs maisons d’opéra de l’Hexagone l’Ombre de Venceslao, d’après l’œuvre de Copi, vient enfin de voir le jour à l’opéra de Rennes, à la plus grande satisfaction (et la plus grande surprise) d’un public rongé de curiosité tant les commentaires allaient bon train ces derniers temps dans le Landerneau du monde musical Rennais.

 

VenceslaoLa première remarque qui vient à l’esprit est que le qualificatif de théâtre musical serait plus adéquat pour donner une définition du spectacle donné en première le mercredi 12 octobre dans la capitale bretonne. L’impossibilité de concevoir cet opéra sous la forme d’une version concertante ne fait que confirmer cette opinion. On est bien en présence d’un spectacle total, dont les éléments s’imbriquent de manière si parfaite que les séparer ôterait toute crédibilité. La complémentarité apparaît comme une évidence, elle est due en partie à la remarquable mise en scène de l’Argentin Jorge Lavelli, tenant son public en haleine en ne laissant aucun temps mort dans la narration de cette saga familiale. D’un bout à l’autre de l’exécution de l’œuvre, la tension reste présente et la fluidité de l’ensemble assure une cohérence de très bon aloi. Décors et costumes, avec une intelligente sobriété, se fondent dans l’ensemble et apportent à l’Ombre de Venceslao une simplicité qui rend l’approche de cette pièce plutôt aisée.

VenceslaoLe texte de Copi, qui ne fait à aucun moment l’économie de grossièretés, à ne pas dire de blasphèmes, est clairement à resituer dans une époque post soixante-huitarde où l’éclosion d’une toute nouvelle liberté permet de placer dans des œuvres théâtrales quelques mots malsonnants dont la génération précédente se dispensait avec conviction. Mis à part quelques pisse-vinaigre, plus personne ne s’offusquera de ce vocabulaire assez fleuri. La provocation est présente, mais elle n’a pas pour but d’inciter à une réflexion particulière, elle se suffit à elle-même et devient jubilatoire comme le ferait un gamin à l’école de ses premiers gros mots.

VenceslaoLa musique, composée par un autre Argentin en la personne de Martin Matalon, est tellement en symbiose avec l’ensemble que l’on finirait par ne même plus l’entendre. Elle ponctue chaque action, commente tous les événements comme le ferait un narrateur et témoigne de la part de l’auteur d’une très grande maîtrise de la musique atonale. Il est clair que venir écouter l’Ombre de Venceslao en pensant trouver une ligne mélodique que l’on pourrait ensuite fredonner à la manière des opéras italiens est totalement hors de propos. C’est une expérience tout à fait différente que les auteurs vous invitent à partager.

ombre venceslao martin matalonCette atonalité rend le travail des chanteurs digne de louanges bien méritées. Les capacités vocales des interprètes sont mises à rude épreuve, passant du grave à l’aigu le plus strident dans la même seconde. À ce jeu, c’est la jeune et virevoltante soprano Estelle Poscio qui va remporter les suffrages, délivrant une performance vocale impressionnante, comme des aptitudes de danseuse de tango tout à fait convaincantes. Dans le rôle de Venceslao, Thibaut Desplantes, profitant d’un physique plutôt solide, donne à son personnage une véritable densité soutenue par une voix de baryton puissante que l’on aimerait toutefois découvrir dans un répertoire plus classique afin d’en mieux percevoir les subtilités. Mathieu Gardon, dans le rôle de Largui, en plus d’une divertissante présence scénique démontre des aptitudes vocales intéressantes en utilisant toutes les ressources de ses aigus. Ziad Nehme, dans le rôle de Rogelio, démontre une belle énergie et bien qu’il soit condamné à mourir d’une façon très scabreuse, se vidant littéralement suite à l’ingestion de poison, va chercher des aigus qui laissent pantois. Pas en reste, Sarah Laulan, en Mechita, plante un personnage drôle et un peu obscène servi par une voix plaisante et une réelle aptitude à la scène et jouant adroitement avec le public. Personnages informels, des animaux interviennent sur scène : un cheval, un singe et un perroquet. Ce dernier, auquel David Maisse a prêté sa voix, est présent sous la forme d’un automate dont les interventions sont toujours aussi insolentes que réjouissantes.
opéra ombre venceslaoLes changements de décor sont opérés par quatre personnages vêtus et gantés de noir qui évoluent sur scène avec efficacité et discrétion.
L’âme argentine est bien au rendez-vous, et si parfois l’ombre discrète de Carlos Gardel affirme sa présence tutélaire, le tango est à la fois célébré et un peu bousculé à la sauce Matalon. Le quatuor de bandonéons, qui prend pour quelques instants possession de la scène, ne fera pas revivre Astor Piazzolla, mais nous invitera à une nouvelle approche agréablement déroutante.

opéra ombre venceslaoNos derniers compliments iront conjointement au chef Ernest Martinez Izquierdo, dont la performance est indubitable tant cette partition est complexe, mais également à l’orchestre symphonique de Bretagne, exemplaire dans l’exécution de l’Ombre de Venceslao, dont on a pas fini de parler.
Cet opéra a fait ses premiers pas en Bretagne grâce au travail acharné du directeur de l’opéra de Rennes, Alain Surrans, auquel il est juste de rendre un vibrant hommage. Encore un succès à porter au crédit de ce musicologue érudit et que l’on voyait en ville ces derniers temps arborer le sourire malicieux toujours annonciateur du bon tour qu’il se préparait à nous jouer… c’est totalement réussi !

Dernières représentations ce soir et dimanche (16H), il est urgent de ne pas rater cet événement de l’année.

L’Ombre de Venceslao, Opéra en deux actes, Livret de Jorge Lavelli d’après la pièce de Copi (Gérard Billaudot Éditeur),
Création mondiale à partir de 14 ans

À la découverte du Bandonéon :
Samedi 15 octobre, 11 h, Médiathèque de Servon-sur-Vilaine / gratuit
Victor Hugo Villena, bandonéoniste de la création « l’Ombre de Venceslao », accompagnera la diffusion du programme de courts-métrages autour de l’Argentine proposée par le Grand Soufflet et présentera le bandonéon à travers un solo de 20 min, suivi d’un temps d’échange avec le public.

 

opéra ombre venceslao

Toutes les photos ont été réalisées par Laurent Guizard

Direction musicale Ernest Martinez Izquierdo
Conception et mise en scène Jorge Lavelli
Collaboration artistique Dominique Poulange
Scénographie Ricardo Sanchez-Cuerda
Costumes Francesco Zito
Lumières Jean Lapeyre et Jorge Lavelli
Responsable des études musicales Sylvie Leroy
Répétiteur danse Jorge Rodriguez
Orchestre Symphonique de Bretagne Directeur Musical Grant Llewellyn

Venceslao Thibaut Desplantes
Rogelio Ziad Nehme
China Estelle Poscio
Mechita Sarah Laulan
Largui Mathieu Gardon
Coco Pellegrini Jorge Rodriguez
Gueule de Rat, le cheval Germain Nayl
Le singe Ismaël Ruggiero
Le perroquet  (voix enregistrée) David Maisse
Bandonéonistes  Anthony Millet, Max Bonnay, Victor Villena, Guillaume Hodeau

Ingénieur du son Max Bruckert

Remerciements à l’artiste peintre Alberto Bali pour son autorisation à utiliser sa « Galerie des voleurs de Buenos Aires ».
Coproduction Centre Français de Promotion Lyrique, Opéra Grand Avignon, Opéra National de Bordeaux, Centre Lyrique Clermont-Auvergne, Opéra de Marseille,
Opéra de Reims, Opéra de Rennes, Opéra de Toulon Provence Méditerranée, Théâtre du Capitole de Toulouse, Opéra Orchestre National Montpellier Languedoc-Roussillon, Teatro Colon de Buenos Aires, Teatro Musico de Santiago du Chili, Coproduction Grame (Centre National de Création Musicale, Lyon). Avec le soutien du Fonds de Création Lyrique, de la Fondation Orange et de la Caisse des Dépôts et Consignations, du Ministère de la Culture et de la Communication,
en partenariat avec France 3, France Musique, Télérama. le Festival Maintenant et Le Grand Soufflet.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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