Pour sa première exposition personnelle en France, Joaquin Ruina présente la série Welcome to National City à Lendroit éditions et galerie. Un voyage virtuel sur les boulevards californiens à travers Google Street View. À voir jusqu’au 25 juillet.

 

Joaquin Ruina (Marbella, 1984) est artiste photographe, vidéaste et commissaire d’exposition. Il a récemment exposé au Grand Cordel à Rennes dans le cadre de l’exposition collective « Sauvage » et a participé à plusieurs expositions collectives en Espagne. Il est membre cofondateur du collectif Coagulo à Marbella et membre actif du collectif Contrefaçons – création de projets culturels à Rennes.

Le trajet réalisé par Joaquin Ruina s’apparente à une déambulation numérique, une accumulation d’images du présent au passé. Son travail oscille entre l’espace virtuel et l’espace physique, réel. L’image comme médium principal, sa valeur documentaire, sa multiplication et sa prédominance dans l’espace quotidien amènent l’artiste à interpréter ou réinterpréter des images, à les intégrer dans une nouvelle dimension contemporaine. Le rapport au réel et la question de la représentation sont des idées que Joaquin Ruina utilise régulièrement dans ses séries. Passionné de photos et de vidéos, cet artiste a également une culture cinématographique solide qui se retrouve dans ses choix artistiques. Plus jeune, il collectionnait des clips vidéo étrangers sur cassettes VHS.

Welcome to National City Joaquin Ruina
Welcome to National City. © Joaquin Ruina/ Lendroit éditions.

Pour Lendroit éditions et sa première exposition personnelle, Joaquin Ruina présente la série Welcome to National City, une visite virtuelle de la ville natale de John Baldessari. L’artiste américain avait en effet réalisé une série de phototext entre 1967 et 1968 : il sillonna sa ville en voiture, en prenant des clichés avec son 35 mm. Dans cette production, Joaquin Ruina revisite ainsi les techniques et l’espace de ces photographies, en utilisant l’outil Google Street View. Les clichés révèlent quelques irrégularités, des « bugs » dus au parcours numérique.

L’artiste a choisi d’exposer 12 « phototext » tels que « Looking South on National City blvd. National City, Calif. ». Les clichés, imprimés sur du papier photographique, ont été post-traités manuellement. L’artiste a en effet réalisé tous les textes à la main à l’acrylique. La vidéo du même nom, présentée lors du vernissage le 18 juin, retrace le parcours en voiture de John Baldessari. D’une durée de 41 minutes, la vidéo permet au spectateur de se laisser guider dans la ville à la fois anachronique et inconnue. Une exposition remarquée par une approche très personnelle du paysage et de l’image. Ainsi, les propositions de Joaquin Ruina devraient se poursuivre avec d’autres projets solo ou collectifs. La suite de l’itinéraire de ce « passeur d’images » en somme.

Unidivers : Joaquin, tu travailles essentiellement avec les médiums photo et vidéo, quel est ton rapport ou ton opinion sur l’image contemporaine ? L’image est-elle une expérience ?

Welcome to National City. © Maëlys Moreau
Welcome to National City

Joaquin Ruina : Oui, essentiellement avec la photo et la vidéo, même si mon travail s’est développé vers le texte. J’imagine que toute personne garde d’une façon ou d’une autre une expérience avec l’image. L’image, comme on le sait, est actuellement partout et les gens partagent de plus en plus d’images pour partager leurs expériences. L’image qui n’a pas été créée avec une intention artistique m’intéresse de plus en plus. Par exemple, mon projet Le Septième Continent, part des images de toutes sortes. Des images qui n’ont pas été créées par moi, mais par des utilisateurs d’Internet : pour obtenir ces images qui composent le projet, j’ai tapé plusieurs fois une voyelle ou une consonne, par exemple aaaaaa, fffffff, jjjjjjjj… puis, j’ai créé 28 Tumblr, un pour chaque lettre de l’alphabet et j’y ai mis les images sélectionnées. Dans Le Septième Continent, l’image vit dans un contexte qui en change le sens, par conséquent l’utilisateur a une expérience avec l’image complètement différente.

: Peux-tu nous parler de la série Welcome to National City. Comment as-tu interprété l’œuvre de John Baldessari ? Comment les nouvelles technologies répondent-elles à de nouvelles façons de créer, de diffuser des images ?

Joaquin Ruina, "Welcome to National City". © Maëlys Moreau
Joaquin Ruina devant Welcome to National City

Joaquin Ruina : Je ne sais pas si dans ce cas on peut parler de réinterprétation de l’œuvre National City de John Baldessari. Tout a commencé comme un jeu. Je connaissais ce travail de Baldessari. Je voulais le trouver et le photographier de nouveau en étant fidèle à son cadrage. J’ai ensuite montré quelques images à un ami qui habite à Londres et il a cru que j’étais allé aux États-Unis. J’ai pris ça comme un signe intéressant. J’ai donc continué à chercher chaque endroit qui compose aujourd’hui Welcome to National City.

: Quels films, cinéastes ou photographes t’ont marqué dans ton parcours, comment as-tu établi ta propre ligne artistique à partir de ces références ?

Joaquin Ruina : J’aime beaucoup le cinéma, mais je ne crois pas qu’on puisse y retrouver une quelconque influence dans mon travail.

: Que cherches-tu à provoquer, à questionner par l’image ? La présence massive d’images et sa circulation illimitée grâce à internet, est-ce un phénomène de société que tu tends à interroger ?

Joaquin Ruina : Je ne cherche pas à provoquer quelque chose. Tous mes travaux sont des expériences personnelles avec l’image qui sont finalement exprimées sous forme visuelle. J’ai essayé de montrer cette présence de l’image à travers Le Septième Continent. Dans ce projet, les images se superposent. À cause de ça, parfois on ne voit qu’une petite partie d’une image, ou elle peut même être totalement cachée. À chaque fois qu’une nouvelle image est incluse, la mosaïque se recompose.

: Que penses-tu de la manipulation de l’image, le virtuel rattrape-t-il le réel ?

Joaquin Ruina : Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce que le virtuel ? Il faudrait déjà pouvoir répondre à ces questions avant de pouvoir dire si l’un rattrape l’autre…

Welcome to National City © Ekarat Tosomboon
Welcome to National City © Ekarat Tosomboon

: Dans ta vidéo Welcome to National City, le spectateur fait l’expérience d’une visite virtuelle, on se déplace en continu. Tu dis toi-même que tu connais maintenant bien la ville, sans jamais y avoir été physiquement. Google Street View est-il un nouveau médium ? Peut-on y voir une certaine objectivité, une véracité de l’image ?

Joaquin Ruina : La vidéo qui accompagne l’exposition est le résultat de nombreuses balades sur Google Street View à National City. Après avoir passé beaucoup de temps dans les rues de National City, je me suis approprié la géographie de la ville et je savais où étaient situés les différents lieux photographiés les uns par rapport aux autres. La durée de la vidéo est de 41 min, c’est un voyage, une balade « en voiture » sans pause, qui finit dans une impasse après le Star Theatre.

: Il y a des indications temporelles aussi dans ce travail, entre les premiers phototext de 1967, l’œuvre numérique de 2015… ? Google Street View parvient à figer le temps ?

Joaquin Ruina : Je ne sais pas si Google Street View permet de figer le temps, mais depuis l’année dernière, il permet de remonter dans le temps.

joaquin ruina
Welcome to National City, vidéo. © Maëlys Moreau

: Ton travail utilise essentiellement l’espace numérique, le flux des images, la vidéo. Pour Welcome to National City, pourquoi avoir choisi une méthode plus artisanale pour réaliser tes phototext ?

Joaquin Ruina : Mon idée de départ c’était de montrer ce travail dans des dispositifs iPad accroché sur le mur. Douze Ipad, un pour chaque phototext. Je voulais garder une forme très numérique. Mais c’était impossible pour des raisons budgétaires. Donc j’ai choisi de demander à un ami spécialiste du lettrepress de faire les lettres pour moi, comme Baldessari l’avait fait à l’époque en demandant à un professionnel de faire les textes à la main mais mon ami ne disposait pas du temps nécessaire : j’ai reçu toutes les copies sans les textes et à ce moment-là j’ai décidé de le faire moi-même.

: Internet est un espace de travail et de recherche important dans ta pratique. Comment utilises-tu les réseaux pour développer et diffuser tes créations ?

Joaquin Ruina : Ce que j’utilise le plus c’est Tumblr que j’actualise régulièrement. Je publie rarement mon travail sur Facebook.

: Que penses-tu des expositions de photographies contemporaines ? Quelles formes celles-ci doivent-elles prendre selon toi, si l’on observe toujours cette prolifération d’images et leur circulation massive sur les réseaux ? Comment exposer ?
Welcome to National City. © Maëlys Moreau

Joaquin Ruina : J’imagine que la forme d’exposition dépend de chaque travail et de chaque artiste. Si par photographie contemporaine tu entends ce qu’on voit maintenant, ce que font les nouveaux photographes actuellement, j’ai l’impression qu’il nous manque beaucoup d’imagination. En plus, le domaine s’est beaucoup institutionnalisé, et j’ai l’impression que beaucoup d’étudiants en photographie prennent le même genre de photos. J’ai l’impression de voir tout le temps la même sorte de photos et ça m’ennuie beaucoup.
Après il y a des artistes qui, à mon avis, ont leur propre façon de raconter photographiquement les choses. Je pense à Thomas Mailaender, Jan Hoek, Romain Mader, Mazaccio & Drowilal, et d’autres. À l’occasion de l’exposition de post-photographie au Centre Santa Monica à Barcelone, il y avait une pièce de Thomas Mailaender appelée Chicken Museum, il s’agissait de vitrines derrière lesquelles se trouvaient des poulets vivants qui se promenaient autour de photos trouvées sur Internet. C’était comme une exposition pour les poulets, mais en même temps je me suis demandé si on n’était pas aussi les poulets des expos. Tout ça m’a fait rire.

: Comment s’est déroulé ta collaboration avec Lendroit Editions, as-tu été d’emblée intéressé par ce lieu, à la fois espace d’édition, de ressources et d’exposition ?

Stop Taking Pictures Of: © Joaquin Ruina
Stop Taking Pictures Of: © Joaquin Ruina

Joaquin Ruina : À l’occasion de la biennale d’art contemporain à Rennes, était organisée une sortie à vélo parcourant les lieux d’expo de la ville de Rennes, on a visité Lendroit Editions. Je venais de débarquer en France. Je parlais à peine le français. J’ai alors demandé à ma copine comment poser la question : comment faut-il faire pour vous proposer un projet ? Et là, Cyrielle Dozières de Lendroit m’a donné les coordonnées de Mathieu Renard.

: Tu présentes également une édition, un poster offset : Stop Taking Pictures of où tu énumères une liste de sujets, lieux, gestes…là encore, la multiplication des mots rejoint ta réflexion sur l’image.

Joaquin Ruina : Oui. C’est une idée que j’ai en tête depuis l’année dernière. Un jour j’ai écrit cette liste parce que j’avais l’impression de voir tout le temps le même genre de photos. Le lendemain, j’ai mis tous mes appareils en vente sur le bon coin. J’en avais marre.

: Pour cette édition, tu as collaboré avec le graphiste Christian Granados, comment avez-vous travaillé ? La typographie occupe aussi une place importante dans cette série.

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John Baldessari National City

Joaquin Ruina : Christian Granados est un spécialiste de letterpress et aussi un très bon ami depuis très longtemps. Travailler avec lui c’est toujours un grand honneur. C’est grâce à lui que je me suis intéressé à la typographie.

: Que souhaiterais-tu développer par la suite, quels projets as-tu en tête ?

Joaquin Ruina : Je continue à mélanger le texte et la photo. Surtout, je souhaite continuer à travailler sur des choses qui me frappent, sans trop réfléchir, sans théoriser. Pour moi, c’est très important de tenir ma démarche comme ça. Ce n’est pas mon but de parler sur mes projets comme un théoricien. Comme Robert Bresson l’a dit: Je préférerais qu’on sente un film avant de le comprendre, c’est-à-dire, que le sens intervienne avant l’intelligence. Pour moi, être attiré et touché par quelque chose que je ne comprends pas trop, c’est important, il y a quelque chose qui reste de l’ordre du mystère. Ça te fait sentir d’une manière particulière, ça t’intéresse et après tu essaies de le comprendre.

Joaquin Ruina Welcome to National City Lendroit, 24 bis Place du Colombier à Rennes. À voir jusqu’au 25 juillet

Joaquin Ruina / Cargo Collective

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